Combien de temps cela fait-il maintenant ? Ou, plutôt, je devrais me demander combien de groupes cela fait-il ? Il est vrai que j’ai toujours eu un peu de mal à m’entendre avec les autres parce que je me montre un peu plus doué qu’eux. Toutefois, je ne suis pas le genre de personne totalement renfermée ou taciturne. Il m’arrive d’être plongé dans mes pensées au point d’en oublier le reste, certes. Toutefois, il y a des limites à l’intolérance qu’on peut avoir.

Comme la plupart des cadets, j’ai commencé à cultiver au sein du clan ayant vu ma naissance dès mes onze ans. J’ai commencé à m’intégrer doucement et à trouver une certaine passion dans ce que je faisais. Qui aurait pu prédire les facilités que j’aurais ? Mon Jindan a été formé très tôt, avant tout le reste des cadets de mon âge. Les cours me paraissaient faciles, comme coulant de source. C’était comme si on m’avait déjà parlé de tout cela et que ce n’était que du redis. Pourtant, j’ai sagement écouté mes professeurs, aidé les personnes ayant des difficultés à suivre ou comprendre… Il ne me semble pas avoir fait preuve d’orgueil. Pourtant, c’est ainsi qu’on commença de plus en plus à me voir et j’ai progressivement été seul. Cela ne m’a rapproché que plus de ma famille et du peu de personnes pouvant supporter ma présence. Comme dirait ma mère, on compte ses véritables amis sur les doigts de la main. Elle a on ne peut plus raison. Dommage que cela me prive des joies d’une chasse coordonnée et sans accroc !

Depuis que je suis passé Cadet Dì èr, il m’a été autorisé de sortir en chasse nocturne en compagnie d’un groupe et, éventuellement, un maître. J’étais on ne peut plus excité à l’idée de mettre en pratique tout ce que j’ai appris en théorie et de sortir Bìchén de son fourreau pour autre chose que des entraînements. Ma plus grande envie est de parcourir la Chine pour aider ces pauvres gens qui se retrouvent souvent face à des créatures ou des situations qui leur sont impossibles à comprendre. Sans distinction. Sans se préoccuper de la gloire à obtenir. Une façon de penser qui m’amena à demander à mes pairs pourquoi ils avaient choisi une mission plutôt qu’une autre. Si seulement c’était la seule chose, peut-être aurions-nous pu nous entendre un minimum. Mais non. En chasse, étant le “moins expérimenté” ou le “plus jeune”, mes suggestions étaient régulièrement mises au placard sans qu'elles soient prises un minimum prises en considération. Autant dire qu’à force cela m’agace au plus haut point et, maintenant, je ne vois qu’une seule manière pour moi de trouver un minimum de contentement : chasser seul. Mais, pour que cela me soit possible, il me faut une autorisation spéciale. Sachant pertinemment que mes Shīfu refuseront parce que c’est “contre les règles”, je suis en route pour trouver le Zōngzhu. Je sais qu’avec lui il me sera possible de discuter des raisons qui me poussent à vouloir cela et sa décision ne pourra pas être contestée si je venais à obtenir gain de cause.

Doucement, je prends une grande inspiration devant la porte du bureau de la personne que je veux voir. Je sais qu’il est malade et occupé. Je sais également qu’il s’agit de la personne la plus importante du clan. Pourtant, je n’ai pas peur. Je sais qu’il m’accueillera à bras ouverts. Alors, je toque à la porte et, à son autorisation, j’entre avec le sourire aux lèvres :



Je me demande s’il peut vraiment compter sur son Zhǎngwò pour l’aider. Cette personne fait également partie de notre famille proche, mais nous ne le voyons pratiquement jamais. Ma mère regrette constamment sa visite et, personnellement, je ne suis pas sûr de me rappeler de son visage. Alors qu’en est-il de mon grand-père qui a besoin de lui plus que jamais ?

Je l’ai entendu, ce toussotement. Cela m’inquiète, mais je préfère ne pas le montrer de prime abord. Faire ressentir ma peur à mon grand-père nous ferait passer à côté de beaucoup de bonnes choses et, puisqu’il est malade, je préfère me faire le plus de bons souvenirs à ses côtés que me lancer dans des inquiétudes qui ne changeront rien à son état. C’est donc avec le sourire que j’entre pour le rejoindre. Par contre, sa réponse à ma question ternit ce sourire que je lui offre. Je n’aime pas vraiment qu’il me cache son état. Peut-être que si ma visite était de courtoisie il n’aurait pas répondu de la même manière. Je l’espère en tout cas.



Je m’approche et, alors que j’allais lui proposer de m’occuper du thé ou de l’aider, il disparaît dans l’autre pièce. Je soupire et vais m’installer à la table. Sommes-nous donc tous ainsi dans la famille ? Je me demande si j’aurais réagi de la même manière que lui à sa place, ou si je lui aurais proposé de me donner un petit coup de main. Qui sait ? Peu importe, tant que je ne deviens pas comme le plus jeune de mes oncles, cela me convient. Je vois alors mon grand-père revenir avec le thé et des gâteaux tous disposés sur un plateau. Je le remercie quand il me sert et bois une gorgée de ce breuvage chaud. Puis mon regard se pose sur mon aïeul qui me demande ce qui m’amène.



Je laisse un instant pour réfléchir à la formulation de ma demande. Je vois son inquiétude par le léger froncement de sourcils que je reconnais facilement par cette ride très caractéristique entre ses deux yeux. Je lui souris et avoue :



Il n’est pas très courant que je me montre aussi bavard concernant mes problèmes. Ma mère et mon grand-père sont généralement des exceptions puisqu’ils me mettent très à l’aise. Mes Shushu étant moins présents, j’ai plus de difficultés à les voir comme des confidents. Surtout pour le dernier de la fratrie. Je soupire doucement en y pensant. Toutefois, c’est un regard déterminé que j’offre à mon grand-père. Je ne lâcherais pas l’affaire. Je tiens vraiment à chasser seul, à crapahuter au gré des rumeurs que j’entends pour aller là où se trouvent les problèmes afin de les régler si cela est dans mes cordes. La gloire… Ce qui fait tant briller le regard de mes Shixiong m’agace au plus haut point. Qu’est-ce que cela peut apporter alors que d’autres souffrent ?

Evidemment, je savais déjà en venant ici que ma demande ne serait pas facilement accordée. Ce que je demande va à l’encontre de toutes les recommandations faites pour notre sécurité. Pourtant, je ne veux pas lâcher cette idée. Elle me paraît bien plus naturelle et plus avantageuse que de faire partie d’un groupe qui sera encore comme tous les autres. J’en ai assez de supporter. Désormais, je veux pouvoir faire les choses comme je le souhaite. Tout simplement. D’un autre côté, je n’aime pas voir mon grand-père avoir ce genre de réaction, comme s’il avait redouté ma demande. Doucement, le laissant réfléchir ou simplement digérer mes paroles, je prends ma tasse de thé pour boire à mon tour une gorgée de mon thé. Il est parfumé et très agréable, comme tous ceux qu’il me prépare depuis que je suis tout petit. J’apprécie vraiment passer du temps avec lui, même lorsque nous sommes censés être dans un moment plus formel.

Comme je le redoutais, la comparaison entre le passé et le présent se fait entendre. Il en vient même à me demander si je connais la raison pour laquelle son père a décidé de changer les règles concernant les sorties en chasse nocturne. Je réfléchis à une raison plus spécifique qui aurait pu amener à un tel changement, mais je finis par simplement rester sur ce qui semble être le plus probable, bien que cela reste assez généralisé :



Ma réponse me paraît si simple, donc inappropriée, comme si je passais à côté de quelque chose d’important. Pourtant mon grand-père valide cette réponse et me raconte une anecdote récente. J’avais entendu dire que nous avions perdu deux de nos cadets lors d’une chasse en compagnie d’un maître et que les autres avaient été plus ou moins gravement blessés. Toutefois, la faute avait été jetée sur la négligence du maître en question. Le son de cloche que j’entends maintenant est si différent que j’en viens à me demander s’il s’agit du même groupe ou si cela est différent. Apparemment, dans son histoire à lui, le maître et son groupe s’est fait prendre au piège et qu’un maître seul ne s’en serait jamais sorti. Evidemment, je comprends mieux pourquoi il s’inquiète et ne souhaite pas me voir partir seul. Toutefois, je ne peux m’empêcher de protester en fronçant les sourcils, frustré qu’on puisse penser que cela pourrait également m’arriver malgré ma raison qui m’indique que cela pourrait effectivement être possible :



Loin de s’énerver de ma prise de parole, mon grand-père me montre qu’il a bien compris mon problème avec un calme qui me fait comprendre que je suis un peu sur les nerfs. Tout en l’écoutant me parler du groupe en formation, je prends une gorgée de ma tasse de thé dans l’espoir de me détendre un peu plus. Apparemment, d’autres personnes ont exactement le même problème que moi pour une raison similaire, ce qui les amène finalement à s’associer. Ils seraient deux, rejoints ponctuellement par deux autres cadets de niveau trois. Je me permet de demander qui sont ces personnes puisqu’il est question que je les rejoigne au lieu de partir en chasse seul. Je tique en entendant le nom de mon oncle être cité. Je ne le connais pas vraiment et ce dont je peux vraiment parler le concernant est son absence cruelle depuis le début de ma vie. Je ne le porte pas dans mon cœur à cause de ça, mais je ne coupe pas mon grand-père qui nomme également A-Lei que je n’ai pas vu depuis une éternité. Un peu par ma faute puisque j’étais trop préoccupé par mes études, bien que ce ne soit pas une excuse. A vrai dire, je serais on ne peut plus heureux de le revoir et de l’aider. D’autant plus s’il a des problèmes. Je hoche donc la tête en me promettant d’aller le voir dès que je quitterai mon grand-père avec un accord. Les deux derniers cadets me sont inconnus, mais pour pouvoir partir en chasse alors qu’ils ne sont que de niveau trois, je ne peux que comprendre qu’ils sont spéciaux. Cela me rend impatient de les rencontrer. Il faut croire que notre génération compte son lot de génie au sein de notre clan. Pourrons-nous alors changer le clan de sorte à ce qu’il ne s’enlise pas et se perde dans les traditions qui sont pourtant faites pour évoluer au fil du temps ? Je l’espère puisque je ne voudrais pas que le clan disparaisse à cause de ce genre de choses.

Finalement, mon grand-père m’annonce que l’idée est que je puisse intégrer le groupe en étant à sa tête quand Lan Sī Yún n’est pas présent. Une solution qui est finalement la seule qui puisse m’être proposée malgré ses inquiétudes puisque nous serons peu. Je soupire et le regarde avec le plus grand des sérieux :



Je suis dur. J’en suis conscient. Mais, cette fois, je veux vraiment m’assurer que tout ira bien avec tous les membres de ce groupe en toute circonstance. L’idée de chasser avec ce petit frère que j’ai perdu de vue me fait rêver. Toutefois, ce n’est sans doute pas assez pour supporter un membre de la famille si absent que nous pourrions en venir à oublier son existence.

Je le savais, j’ai été beaucoup trop dur. Je le comprends en voyant le regard si triste de mon grand-père. Je me sens désolé de m’en prendre à son fils, mais il m’est difficile d’accéder à sa demande dans ces conditions et je préfère qu’il le sache plutôt que de taire mes pensées à ce propos. Je crois en mon grand-père et mes oncles aînés. Il n’en est pas de même pour le cadet avec qui je n’ai aucun lien. Insister d’avantage n’aidera toutefois personne, c’est pourquoi je bois ma tasse de thé au lieu d’en ajouter plus.

Il semblerait que j’ai pris la bonne décision puisque mon parent me demande de m’en prendre à lui plutôt qu’à mon oncle puisqu’il s’estime responsable de ce que je viens de lui reprocher. Je fronce doucement les sourcils sous l’incompréhension en posant la tasse sur la table sans la lâcher. Qu’est-ce qui pourrait amener une personne à être ainsi si ce n’est pas de son propre fait ? Dois-je poser la question ? Je n’ose pas vraiment. Pas tout de suite. Je préfère attendre qu’il ait terminé de se servir du thé, refusant poliment dans un sourir qu’il fasse de même pour moi. J’en profite pour prendre un gâteau que je grignote en observant les gestes de mon grand-père. Je me demande si j’ai la moitié de sa prestance que j’admire.

Ma patience obtient sa récompense puisqu’il m’explique que si Lan Sī Yún est ainsi c’est tout simplement parce qu’il a endossé des rôles dont il ne voulait pas, notamment parce qu’il ne se sentait pas prêt pour ça, sans lui préciser qu’il n’avait pas à être parfait et qu’il pouvait compter sur ses aînés pour l’aider si besoin. Mais qui a besoin qu’on lui précise de telles choses ? N’est-ce pas évident que, quelle que soit la situation, il est possible de compter les uns sur les autres ? Personnellement, je ne pense pas que j’aurais eu besoin qu’on me le dise pour le comprendre. Je préfère toutefois garder le silence, écoutant mon grand-père déplorer que tout cela a détruit le lien entre mon oncle et sa famille. Je soupire doucement en me disant que c’est tout de même assez étrange comme situation. Qui au monde, à part mon oncle, s’isolerait juste pour paraître parfait ? Cependant, j’imagine que je ne connais pas tout ce qu’il a vécu et qu’il ne s’agit que d’une bribe des explications qui pourraient m’aider à le comprendre. Et lorsque j’apprends que mon rôle au sein du groupe sera également de briser sa solitude, je ne peux que rendre les armes. La question serait maintenant de savoir s’il le souhaite aussi ou pas.



Je ne veux pas que mon grand-père s’excuse de me demander un service. C’est vrai que ce n’est pas simple dans la mesure où je ne comprends pas tout et que j’ai vraiment du mal à imaginer qu’on puisse être isolé au point de penser que sa propre famille ne peut pas nous accueillir à bras ouvert. Cela me fait penser alors que je termine mon gâteau :



Pour le moment, il est hors de questions que je le nomme Jiujiu. C’est certes ce qu’il est au sein de notre famille, mais je crains qu’à le nommer ainsi je montre que je lui ai pardonné alors que ce n’est pas le cas.

C’est rassurant de voir le regard de mon grand-père s’illuminer au lieu d’être accablé par la tristesse. Je me doutais évidemment que cela serait ainsi, mais j’apprécie avoir raison quand il s’agit du bonheur de ma famille. Comment mon oncle pourrait-il ne pas comprendre une telle chose ? Est-il devenu insensible ? Non, Tiāncì. Il ne faut pas sauter aux conclusions sans connaître toute l’histoire. D’autant plus que je ne l’ai jamais vu et que son père lui accorde du crédit. Je doute que ce soit sans raison, le connaissant. Je me dois donc de rester impartial, au moins jusqu’au moment où j’en saurais plus et que je le rencontrerais. Dans ce but, et pour m’aider à mieux appréhender ma prochaine chasse avec ce groupe particulier, je demande s’il y a autre chose que je devrais savoir. Mieux vaut que j’ai toutes les cartes en main avant d’aller trouver mon petit préféré de la bande.

La réponse de mon grand-père mettant un peu de temps à arriver, je me permets de terminer ma tasse de thé et manger un autre gâteau. Je le termine alors que j’apprends que mon cadet est en proie à la crainte lors de ses chasses, sans doute à cause de sa première sortie qui l’aurait énormément marqué. Je me demande ce qu’il a bien pu se passer. Malheureusement, je devrais me passer d’une réponse maintenant pour aller la quérir auprès du principal concerné. J’imagine toutefois que cela a dû être particulièrement traumatisant pour qu’il soit marqué à ce point. Je me promets alors de l’aider et le soutenir quitte à le suivre absolument partout envers et contre tout afin de le rassurer. Enfin, s’il me voit comme une personne pouvant lui apporter du réconfort, sinon cela ne servira à rien. L’idée n’est pas de le traumatiser un peu plus non plus.

Voyant mon grand-père se lever, je fais de même et vais me lover dans ses bras. J’aurais préféré que ce câlin soit un peu plus long, mais je comprends que le moment n’est pas adapté pour ça. Qui sait s’il va avoir une autre visite et il doit aller se reposer. Je le sais plus que quiconque, à part Yīshī Shīfu évidemment. Je lui souris et hoche la tête alors qu’il m’indique où je pourrais trouver ce petit frère avec qui je souhaite grandement renouer.



Une fois rassuré, je le salue respectueusement en lui offrant un joyeux sourire avant de m’en aller tranquillement. Je soupire tout doucement avant de me diriger vers le mur des règles d’un pas déterminé. Pourquoi donc ne suis-je pas allé le voir plus tôt ? Je suis certain que nous aurions pu passer beaucoup de temps ensemble. Faire les quatre cent coups, peut-être même. Apprendre ensemble. Surtout s’il est assez doué pour passer Cadet de Second rang à un aussi jeune âge.

Je le trouve, comme grand-père me l’a dit, devant le mur des règles. De ce que je peux constater, c’est qu’il a des manières dignes d’un membre du clan. Cela m’amène à sourire et, silencieusement, je m’approche. Près de lui, je m’assieds en seiza pour l’imiter un peu et, surtout, ne pas le déranger dans sa méditation. Peut-être que cela me ferait du bien de méditer comme il le fait. D’un autre côté, je me demande s’il travaille vraiment sa cultivation ou s’il réfléchit aux récents problèmes auxquels il a été confronté. Puisque je ne le saurais qu’en lui posant la question, j’attends patiemment qu’il me remarque et m’adresse la parole en premier.

Je perds la notion du temps avec un tel calme. Je peux tout de suite voir combien mon petit frère est discipliné. Peut-être un peu trop quand on prend en compte son jeune âge. Je ne saurais pas vraiment dire si c’est une bonne chose ou non et cela ne me fait que regretter un peu plus de l’avoir laissé de côté pour me concentrer sur quelque chose qu’il me semble seulement réviser. S’il m’en laisse l’occasion, s’il l’accepte surtout, je compte bien rectifier le tir. J’aimerais beaucoup voir ce visage si sérieux et si tiré s’illuminer par la joie de passer du temps avec un grand frère. Cela me rappelle quelques souvenirs de notre enfance et je souhaiterais y revenir un instant pour me souffler à l’oreille de ne pas abandonner ce petit garçon si adorable.

J’ouvre les yeux, sortant de ma méditation sur le passé, quand je perçois un soupir. Son problème doit être plus profond qu’on ne pouvait l’imaginer en le regardant ou sa méditation s’est mal passée. Ou pas comme il l’aurait souhaité, ce qui revient au même au final. Je le regarde sans bouger, lui laissant le temps de se remettre et de regarder son environnement. J’aimerais éviter de l’effrayer. J’aurais vraiment préféré… Il semble pourtant qu’il n’ait vraiment pas capté ma présence plus tôt. Bon, au moins cela prouve que je suis vraiment capable de faire preuve d’une discrétion à toute épreuve quand je le veux. Etais-je un assassin dans une autre vie ? J’espère bien que non. Quoi qu’il en soit, maintenant qu’il m’a remarqué, Lei-An me salue respectueusement en me demandant pardon pour ne pas avoir été vu plus tôt. En quoi est-ce un mal d’être plongé dans sa méditation ? Alors qu’il se relève, je lui réponds tranquillement dans un petit sourire :



J’ai comme l’impression que Lei-An ne va pas aussi bien qu’il voudrait sans doute le faire croire. Était-il si inexpressif par le passé ? Il ne me semble pas, mais il était très jeune. Peut-être que cela a changé avec le temps passé. Je ne pourrais le savoir qu’en le côtoyant, je suppose. Je souligne également qu’il me vouvoie alors que je ne suis pas beaucoup plus âgé que lui, ce qui me fait très mal. Encore une fois, on est si loin de la familiarité de notre enfance… Je vais devoir remédier à cela, et j’en vois l’occasion quand il me demande pardon pour ne pas me reconnaître, cette fois. Ce petit est bien trop poli. Mi-sérieux, mi-taquin, je réponds avec exagération, une main serrée en poing sur mon coeur :



Puis, lui souriant, je continue avec bien plus de sérieux tout en l’observant :



Je me demande si cette explication est suffisante pour qu’il puisse se rappeler de moi, sinon je vais devoir lui rappeler quelques anecdotes ou autres. Quoi qu’il en soit, je compte bien faire en sorte qu’il soit plus à l’aise avec moi avant de lui annoncer que je serai son prochain partenaire de chasse jusqu’à nouvel ordre. Du moins, si cela se passe bien avec mon oncle et, pour le moment, ce n’est pas gagné.

Je devrais être soulagé que mon explication lui suffise pour comprendre qui je suis. Pourtant, j’en suis incapable. C’est l’inquiétude qui étreint mon cœur alors que je le regarde réagir. Il est loin du petit garçon timide mais joyeux qui me souriait en m’appelant Gege. Loin de ce visage expressif sur lequel on pouvait deviner ses pensées. Cela me rend d’autant plus triste de ne pas être resté à ses côtés pendant tout ce temps alors que, vraisemblablement, il avait besoin d’aide. Je me demande si ma présence à ses côtés maintenant est suffisante ou s’il est trop tard. Accepterait-il au moins que je reprenne ce rôle de grand-frère que j’ai involontairement abandonné ?

J’aperçois quelques marques de sa timidité, mais il reste grandement dans la retenue et, franchement, ça me fait mal. Je lui souris toutefois en lui répondant :



Je pense que le meilleur moyen de le débrider un peu serait de nous installer dans un endroit privé. De cette manière, il n’aura plus aucune raison de se contenir. J’en suis persuadé. Alors, dès que j’ai son accord, je me relève. Rapidement, j’époussette ma tenue avant de l’emmener avec moi dans une salle vide. Sur le chemin, nous croisons quelques personnes que je salue. Bien que mes relations soient majoritairement tièdes, cela ne m’empêche pas de sourire amicalement et de me montrer courtois auprès des autres. Toutefois, là, je voudrais me concentrer sur mon Didi pour mieux le comprendre et pour l’aider au mieux, s’il me laisse faire.

Après avoir ouvert la porte de la salle, je l’invite à entrer avant de faire de même. Là, je lui souris et annonce en allant faire le thé :



Après un moment, je reviens avec le thé et deux tasses que je remplis avant de lui en offrir une. J’hume tranquillement mon breuvage, réfléchissant à comment aborder les différents sujets dont je souhaite parler avec lui. Je finis par lui demander :



Puisque certains de nos Shīfu ne savent pas gérer les cadets avec des capacités particulières, cela ne serait pas très étonnant. En tout cas, s’il m’a suivi, j’estime que c’est parce que sa possible punition est terminée. Puis, il est plus important de m’occuper de lui, de savoir comment il va et lui parler des chasses, entre autres, au lieu de le laisser ainsi. Je crains qu’à trop le laisser seul il finisse comme mon oncle. Seul, isolé au point de ne pas se tourner vers sa famille… Je ne veux pas de ça pour Lei-An.

Tiens ? Pourquoi ne répond-il pas à ma toute première question ? Pour moi, le plus important est de savoir comment il va. Savoir si je l'ai sorti d'une quelconque punition est secondaire, bien que je sois soulagé de ne pas lui avoir mis un stress inutile. Ce n'est pas mon but, bien au contraire. Toutefois, savoir qu'il a trouvé un moyen d'ordonner ses pensées est une bonne chose, surtout après avoir commencé les chasses, mais est-ce également un moyen de lâcher-prise ? Cela j'en doute et je ne peux qu'espérer qu'il en possède un sinon il craquera. Enfin, je n'ai plus qu'à essayer de mieux le comprendre et mieux l'aider avec le temps que je passerais à ses côtés.

Il me paraît incertain. Pour essayer de le mettre un peu plus à l'aise et lui laisser un peu de temps, je bois une bonne gorgée de thé que je savoure. Nous ne sommes pas pressés et si on venait à nous déranger j'ai les arguments pour envoyer nos aînés paître très cordialement. Et ce temps donné est profitable dans la mesure où je parviens à avoir une réponse concernant son état, bien qu'elle me laisse un sentiment amer. Il va falloir que je lui montre qu'il peut s'ouvrir à moi d'une manière ou d'une autre, quitte à le prendre dans mes bras s'il le faut. Nous sommes en privé alors personne ne peut me le reprocher. Je souris donc au plus jeune en essayant de savoir comment lui annoncer ma venue au sein de son groupe en tant que compagnon et chef. Sans doute vais-je profiter de sa question pour le faire.



Je soupire discrètement en regardant honteusement ma tasse de thé avant de relever mon retard sur Lei-An. Il a toutes les raisons du monde de m'en vouloir de l'avoir délaissé et de refuser mon retour à ses côtés. J'ai l'impression d'être un opportuniste. Pourtant, je suis sincère dans mon envie de veiller sur lui et de l'aider.



Évidemment, il n'y a pas que ça, mais je n'ai pas totalement tort non plus. Toutefois, avant d'en ajouter plus, je souhaite connaître sa réaction à cette annonce et son explication, s'il va baisser sa garde ou s'il va continuer à me traiter comme un étranger. Cela me fendrait le cœur qu'il ne me voit pas comme un frère. Je ne pourrais cependant pas lui en vouloir compte tenu des circonstances.

Lei-An a-t-il toujours été aussi calme ? Il m’écoute avec une attention qui est très surprenante venant d’un enfant de son âge. Il a l’allure d’un enfant ayant grandi trop vite, du moins c’est l’image que j’en ai. N’a-t-il eu personne sur qui s’appuyer ? Qui aurait pu le conseiller ? Cela me rend d’autant plus coupable de l’avoir laissé sans aller à sa rencontre. Je remarque toutefois qu’il semble perturbé alors que je lui parle de Zǔfù m’ayant mené à lui pour que je puisse lui annoncer que je vais faire partie de son groupe. Est-ce le fait qu’il va avoir un nouveau partenaire de chasse autre que mon oncle ? Malgré tout, il ne me coupe pas et hoche simplement la tête à l’annonce avant d’écouter mes explications. Ce n’est que lorsque j’ai terminé qu’il se permet de prendre la parole.

Je suis soulagé de savoir que ma présence est acceptée par mon Shidi. Il semble conscient de son manque d’expérience et il est d’avis que mon aide lui sera précieuse. Sincèrement, je ne peux que sourire à ces paroles. Cela me fait plaisir et je me sens heureux d’avoir un petit frère aussi conscient de ses limites. Il suffit juste de retirer toute cette retenue qui crée un mur entre nous et je serais totalement comblé. Enfin… j’imagine qu’il va falloir du temps et, peut-être que je fasse le premier pas. Quoiqu’il en soit, qu’il me remercie me fait chaud au cœur. Sans doute que grand-père avait raison de me mener vers lui. Cela se passera bien s’ils m’accueillent tous de cette manière.



Pour protéger mes arrières, pour me donner des idées et des hypothèses… Il ne sera pas juste un membre de mon groupe juste pour tuer des créatures ou pour utiliser des formations. Non. Il le sera tout le temps et je compte bien l’écouter comme j’aurais voulu qu’on le fasse plus tôt. Je me le jure.

Nos regards se croisent et je ne sais pas vraiment comment prendre ce qu’il me dit. Ne pas avoir à m’en vouloir, hein ? J’ai comme l’impression qu’il prend le manque de temps comme une excuse valable. Toutefois, s’il savait combien il a tort de l’appliquer à moi, je doute qu’il garderait cette idée en tête. Un peu penaud, je réponds en le regardant autant dans les yeux que possible :



Doucement, je me lève pour m’asseoir en seiza à côté de Lei-An, doucement et en souriant chaleureusement. Je le regarde toujours et mon attitude entière se veut avenante, apaisante. Et c’est d’une voix douce que je lui demande en tendant les bras pour lui proposer un câlin comme par le passé :



J’ai un peu l’impression de jouer sur ses sentiments… Toutefois, je sais que je ne le fais pas par méchanceté. Je ne veux pas le nuire. Au contraire, je voudrais qu’il se repose sur moi et qu’il me voit comme une personne de confiance, avec qui il pourra se relâcher. Sur qui il pourra s’appuyer en cas de problème. Il est encore jeune et je crains qu’il ne tire beaucoup trop sur la corde à se contenir de la même façon que tous les maîtres du clan.

Je ne suis pas sûr de comprendre en quoi mes paroles sont si surprenantes. Ni pourquoi cela provoque un tel choc chez lui. En partant en chasse, je vais forcément mettre ma vie entre ses mains et, pour que j’accepte de le faire, il me faut un minimum de confiance en lui. Et j’en ai. Après tout, je n’ai aucune raison pour que cela ne soit pas le cas. A moins que ce ne soient mes remerciements qui le mettent dans un tel état ? Cela me paraît étrange mais, de manière générale, il semble avoir une attitude assez décalée pour un garçon de son âge. Une attitude qui nous permet de continuer à converser. Une conversation que je mène autant dans l’espoir de retrouver mon Didi que pour avoir sa confiance afin qu’il soit en mesure de se relâcher un minimum face à moi. Il ressemble à une bombe à retardement. J’aimerais qu’il ait un endroit où il puisse se poser, de corps et d’esprit, pour ne pas craquer au pire moment. Ce ne serait bon pour personne, encore moins pour lui. Même si cet endroit se trouve dans mes bras que je lui tends, ce n’est pas un problème. Au contraire, j’en serais très heureux.

Je me sens extrêmement soulagé de le voir venir vers moi. Et, dès qu’il est près de moi, je referme chaleureusement mes bras autour de son corps. Il a l’air encore tendu pendant un temps, comme s’il craignait ce qui pourrait arriver s’il venait à perdre le contrôle ou que je ne sois pas sincère dans mon geste. Heureusement, il semble finir par se détendre, ce qui me soulage grandement. Lei-An a vraiment besoin de ce moment et je suis heureux qu’il puisse trouver du réconfort auprès de moi. Si seulement cela pouvait finir par le faire abandonner le vouvoiement… Mais, avant toute chose, je tiens à répondre à sa question, ce que je fais d’une voix murmurante en lui caressant les cheveux :



J’en aurais bien dit plus que ça, mais il semblerait qu’il ne soit pas en mesure d’écouter. Malgré qu’il me réponde plus ou moins et surtout de manière inintelligible, je ne suis vraiment pas sûr qu’il ait été en mesure de m’écouter. Ou alors de me comprendre. Qu’il en soit ainsi. Cela ne me dérange pas de lui répéter ma réponse s’il en a besoin, du moment qu’il se repose. Son état me montre à quel point je pouvais avoir raison en pensant qu’il était tendu à l’extrême, qu’il était mal en point psychologiquement parlant. Je me demande si je serais vraiment capable de lui venir en aide de la meilleure des manière, de le guider vers la résolution de ses problèmes… Zǔfù semblait penser que ce serait le cas. Mais s’il est craintif juste parce qu’il ne se rappelle pas de moi alors que c’est normal, je pense que cela pourrait prendre plus de temps que je le pensais. Dire que j’étais persuadé qu’il pourrait m’en vouloir et que ce serait la raison pour laquelle il aurait du mal à se rapprocher de moi… J’étais bien loin du compte. Et encore, je n’ai fait qu’effleurer un problème et je sais qu’il en existe d’autres. Ceux liés aux chasses. J’espère qu’il saura se détendre avant que nous abordions le sujet.

En attendant, je le laisse se reposer tout son saoul en lui caressant tendrement les cheveux. Moi-même, je me sens détendu, soulagé de retrouver mon Didi, même si ce n’est que pour un bref moment.

Je suis vraiment soulagé de le voir dormir de cette manière. Il semble en avoir extrêmement besoin. Comment peut-on laisser un enfant de cet âge s’épuiser à ce point ? Personne ne l’a-t-il vu avant moi ? Ou Lei-An est-il beaucoup trop têtu pour accepter l’aide que nous pourrions lui apporter ? J’imagine que je devrais en référer à Lan Sī Yún lorsque j’irais le voir, plus tard. M’écoutera-t-il ou laissera-t-il les choses comme ça ? Il semblerait que je puisse utiliser cela pour le mettre à l’épreuve, bien que je ne laisserais en aucun cas mon Didi en souffrir d’une quelconque façon. Il a l’air si innocent en étant ainsi dans mes bras, comme lorsqu’il était enfant. Cela me rappelle vaguement une déclaration qu’il avait faite devant tout le monde et je ne peux que sourire à ce souvenir. Je me demande ce qu’il en pense maintenant. Peut-être l’a-t-il totalement oublié.

Alors que je tente de le bercer doucement en veillant sur son sommeil, je ressens de l’agitement dans mes bras. En vérifiant son état, je me rends compte qu’il semble toujours dormir. Dans ce cas, il doit s’agir d’un cauchemar. Un qui soit assez violent pour le mettre dans un état pareil et que, quoi que je dise ou fasse, rien ne lui permet de s’apaiser. Je ne suis pas encore une sécurité suffisante pour lui. Ou bien, ses craintes sont trop grandes pour qu’il puisse avoir un sommeil totalement reposant. Cela m’attriste beaucoup mais, pour le moment, je ne peux qu’attendre de pouvoir agir tout en restant à ses côtés.

Après un moment, il sursaute en se réveillant et se redresse vivement. Je ne l’en empêche bien même si je suis plutôt inquiet de le voir regarder autour de lui, comme s’il pouvait ne pas être en sécurité à Yushen Buzhi. Je tente alors de l’apaiser en murmurant :



Je ne sais pas si c’est à force de regarder partout autour de lui ou ma voix qui l’a guidée, mais son regard se pose sur moi et il semble se rappeler de la situation. Il recule alors pour s'asseoir correctement. Je soupire très discrètement en le regardant faire, me disant que ce petit moment a été certainement plus que je n’aurais pu en espérer au vu de sa réticence à baisser sa garde devant moi depuis le début de cette rencontre. C’est triste mais insister d’avantage pourrait certainement le braquer et ce n’est pas ce que je veux.

Je secoue doucement la tête, le sourire aux lèvres, pour répondre à sa question. Il est vraiment nerveux pour s’inquiéter d’une telle chose sans penser à lui en premier. J’espère que cela ne finira pas de le détruire alors qu’il est bien trop jeune pour que nous puissions laisser une telle chose se produire. De manière à l’apaiser, je lui explique :



J’attends un instant, histoire qu’il prenne un peu plus de temps pour se reprendre et, ainsi, être plus préparé à la conversation que nous devons avoir. J’en viens à me demander durant un instant si je ne devrais pas lui laisser un peu plus de temps. D’un autre côté, je ne voudrais pas qu’il tente de me cacher quelque chose si je venais à le faire. Alors, je lui demande tranquillement après avoir bu une gorgée de mon thé :



Je ne sais pas s’il a chassé après ça, mais autant me concentrer sur cette toute première expérience qui, selon ce que j’ai pu comprendre, n’était pas des meilleures. Je ne peux toutefois qu’espérer qu’il acceptera de me donner les détails pour que je puisse me faire une idée des blessures qu’il pourrait avoir et dont il ne nous dit rien.

Est-ce moi ou il se force continuellement au calme ? J’ai bon espoir qu’en prenant mon temps il finira par baisser sa garde. Puisque un passé dont il ne se rappelle pas ne l’aide en aucune mesure, autant lui donner le temps de me connaître à nouveau. Cela serait triste d’abandonner maintenant parce qu’il semble mettre une barrière entre nous. Puis, il faut que nous avancions dans notre conversation, aussi. Je dois savoir ce qu’il s’est passé pour mieux m’adapter dans le futur. Je verrais pour le reste quand j’en aurais l’occasion en espérant ne pas avoir touché un point sensible qui l’amènera à se détourner de moi.

Ses yeux se ferment. Pèse-t-il le pour et le contre ? Ou était-ce si difficile que de le raconter est une épreuve en soi ? Puisqu’il les rouvre assez rapidement, j’imagine que j’aurais ma réponse assez rapidement. Comme grand-père me l’a dit, ce garçon a de grandes facilités pour son âge, ce qui amène sans doute les maîtres à se trouver dépassés. Une situation qui a naturellement amené Lei-An à demander une chasse qui pourrait répondre plus efficacement à ses questions. Je ne peux que le comprendre dans la mesure où j’ai moi-même des facilités. Et sa chasse a été acceptée, ce qui est assez inhabituel en soi. Il a eu beaucoup de chance…
Cette petite chasse les a donc menés dans un petit village et leur enquête dans le cimetière de celui-ci. Des cadavres agités qui tourmentaient parfois les villageois. Une chasse qui aurait dû être simple et peut-être amener les cadets à comprendre que les problèmes relevés sont parfois de la faute de ceux qui veulent être sauvés. Cela aurait pu être une belle leçon. Alors, qu’a-t-il pu se passer ? Pourquoi semble-t-il autant touché par ce souvenir ?

Je fronce légèrement les sourcils à cette partie de l’histoire. Du moins, jusqu’à ce qu’arrive la conclusion de cette partie qui m’aide à mieux comprendre le problème qu’ils ont rencontré. Dans une situation normale, jamais ils n’auraient dû être autant pris au dépourvu par une situation expliquée par les villageois. Alors comment cela a-t-il pu être le cas ? La raison est très simple et ne m’étonne qu’à moitié : une utilisatrice de Yuan Qi était à l'œuvre. Je comprends immédiatement ce qui est arrivé aux deux cadets qui l’ont attaquée. Mais je me pose une question. Pourquoi mon oncle n’a-t-il pas sonné la retraite dès lors que la situation s’est montrée anormale ? En restant, il a mis tout le monde en danger… A moins que le nombre de cadavres n’ait été si grand qu’ils aient été bloqués dans leur retraite ? C’est la seule explication qui peut m’aider à mieux comprendre le résultat. Quelle malchance !

Il lui faut un peu de temps pour me confirmer le sort des deux cadets impulsifs et je hoche la tête. Et, suite à ça, le chaos a tout simplement régné. Le comportement de Lei-An a été exemplaire. En restant aux côtés de mon oncle, il a permis à ce dernier de se concentrer sur la protection des autres autant qu’il le pouvait tout en s’assurant de la sécurité du plus jeune. De plus, il a fait preuve d’un grand sang froid contrairement aux deux qui se sont fait tuer. Et peut-être même des deux autres aussi. S’ils étaient restés groupés, alors peut-être que le résultat aurait été différent. Au lieu de ne se baser que sur la théorie et les formations, peut-être que nos maîtres devraient nous apprendre à gérer les situations de crise pour que nous n’ayons plus à déplorer de telles pertes.

Je croise le regard de mon petit frère et j’ai comme l’impression qu’il porte beaucoup de peine tout seul. Je le laisse conclure que, finalement, mon oncle a tué cette utilisatrice de Yuan Qi et que si les secours ont mis tant de temps à arriver c’est simplement parce qu’ils ont été empêchés par les villageois. Ces derniers étaient-ils contrôlés ou dans le coup ? L’idée même me donne la chair de poule.
J’ai comme l’impression que Lei-An ne comprend pas son point fort. Je lui laisse un peu de temps en réfléchissant avant de lui annoncer :



Et même si je ne lui notifie pas, même ses Shixiong n’ont pas fait preuve de sang froid. Avec mon oncle, ils ont été les seuls à garder la tête froide et s’en sortir un peu mieux que les autres, de ce que j’ai cru comprendre. Après tout, Lei-An est parvenu à rester le plus longtemps debout en obéissant aux recommandations du maître l’accompagnant et ce dernier est parvenu à tuer cette femme avant qu’elle ne fasse plus de mal. C’est assez impressionnant ! Au vu de la situation, ils auraient pu mourir tous les six et cela aurait été le pire des scénarios.
Je me doute qu’on a déjà fait pas mal de compliments sur les talents au combat de mon Didi et qu’on a tenté de le rassurer. Sauf que cela n’a pas l’air d’avoir eu le moindre impact sur lui. Je pense donc ne pas en dire plus et plutôt lui demander :



Maintenant, puisqu’il a fait une chasse récemment, il faut que je connaisse son état d’esprit et que je visualise un peu mieux les problèmes qui en ressortent pour mieux le guider. Puisque nous serons deux pour l’épauler tout spécialement prochainement, il devrait être plus simple de l’aider à se défaire de ses difficultés et ses craintes. Du moins, je l’espère de tout cœur.

J’ai comme l’impression que ma remarque l’a laissée de marbre. Mais qu’importe. Peut-être que mes paroles feront leur bout de chemin avec le temps. Pour le moment, le consoler et l’encourager n’est qu’une partie de mon but. Et puisque cette partie-là a tout de même été bien entamée, il me faut continuer sur ma lancée pour connaître l’étendue de son expérience et des marques qu’elles ont laissées. Les premières sont bien assez suffisantes pour que n’importe qui d’autre cesse les chasses nocturnes définitivement, surtout à son âge. C’est impressionnant qu’il veuille continuer malgré tout. Dommage qu’il ne s’en rende pas compte. Mais j’imagine qu’il est plus difficile de voir nos prouesses et qualités que celles des autres. Après tout, les reproches sont plus faciles à faire que les compliments pour ceux qui apprennent à autrui.

Je ne peux être que surpris alors qu’il me confirme avoir fait une autre chasse. Elle est toute récente, d’ailleurs. Raison de plus pour en connaître davantage sur le déroulement de cette dernière.
Perte de sang froid… À cause d’une personne qui n’aurait pas dû se trouver dans un endroit pareil… Une réaction quelque peu normale avec son expérience précédente à vrai dire. Sa conclusion ne m’étonne pas du tout. Jusque-là, rien d’étonnant et son chef de groupe a l’air d’avoir bien réagit. Ensuite ? Mention de la bonne gestion de son chef de groupe… D’accord. Et ? Est-ce tout ce qu’il a à me dire ? A vrai dire, le peu qu’il m’en dit me donne une vague idée de la situation dans laquelle il s’est trouvé, mais sans les détails cela reste assez flou. Est-ce fait exprès ?

Passant mon index sous ma lèvre inférieure, signe de réflexion, j’attends de voir si Lei-An voudrait ajouter quelque chose de plus à ce qui a été dit. Malheureusement, tout ce qui lui semble important en ce moment semble être qu’il a perdu son sang froid face à une situation étrange. Je peux facilement deviner la honte qu’il ressent rien qu’à sa posture. Sincèrement, a-t-il seulement conscience de son âge et de toutes les prouesses dont il est l’initiateur ? J’en doute fort. Toutefois, les remontrances ou les encouragements ne semblent pas être ce dont il a besoin. Autant commencer autrement, surtout que je préfère être certain de ne pas me tromper dans ce que j’ai compris :



Si j’ai raison, il a tout bonnement sauvé la vie d’une personne innocente. Ce n’est pas rien et, même si cela a été fait sur une perte de sang froid, ce n’est pas rien. D’autant plus que ce n’est que sa seconde chasse. Bon nombre de cadets perdent encore leur sang froid ou font preuve d’imprudence après des dizaines de chasses nocturnes. Il va falloir qu’il en prenne conscience. Mais, avant toute chose…



Il est important que je confirme avoir bien compris correctement la situation dans laquelle il était et l’état dans lequel il était. Bien sûr, j’ai ajouté certains qualificatifs qu’il n’a jamais dit et une vision des choses qu’il n’a pas. Mais j’espère que cela pourrait l’aider à voir les choses différemment sans le mettre sur le fait accompli. Pas directement. Peut-être a-t-il besoin que cela mûrisse un peu avant que nous en parlions à nouveau. Après tout, c’est extrêmement récent.