Suis-je encore en vie ? Il m’arrive parfois de me poser la question sans jamais l’extérioriser. A qui pourrais-je la poser ? Je ne suis qu’un esclave, un outil pour donner la mort, à qui on n’offre aucune écoute. Mais c’est normal. Je n’ai pas ce droit. Le seul qui m’est accordé depuis quelques années est celui de sortir à ma guise à condition que je mène à bien chaque mission qui m’est donnée à faire. Bien entendu, je ne suis pas totalement sans surveillance. Je dois faire mes rapports, montrer ma présence, auprès de personnes spécifiques sans quoi je serais recherché et sans doute mis à mort. A moins qu’on ne me donne une dernière chance puisque je suis leur précieuse lame empoisonnée, mais j’en doute fort. Au fond, qu’importe. Cette liberté-là est bien suffisante puisqu’elle me permet de voir le ciel et de goûter à un minimum de quiétude. Cela m’était totalement interdit avant mes quinze ans. J’avais l’impression d’étouffer alors que je rêvais de ces grandes prairies qui étaient dans les histoires de ma mère. Elle me manque.

Récemment, j’ai reçu une mission. En chemin, je suis passé par des points spécifiques pour ne pas être recherché. Et me voilà enfin à Yunmeng. Une grande ville sous la protection d’un clan qui a vécu de nombreuses épreuves d’après ce que j’ai entendu dire. Je ne me suis pas penché plus que ça sur la question, mais en suivant les quelques conversations que j’ai surpris lors de mes repas, il est devenu clair que ma cible, une jeune femme Zōngzhu ayant à peine mon âge, n’a pris ses fonctions il n’y a pas si longtemps que ça suite au décès de son père et son frère. Bien que cela m’ait fait penser à ma mère un bref instant, je ne me laisse pas émouvoir. Elle et moi sommes dans deux mondes différents et, si je laisse libre court à mes émotions, c’est ma vie que je mets en danger. Voilà pourquoi je me fais passer pour un simple touriste pour évaluer les lieux et en apprendre plus sur cette Jiang Mingxia. Elle ne semble pas être un gros problème, bien que je me méfie d’une de ses armes. Une sorte de fouet de ce que j’ai pu entendre dire, sans parler de son caractère bien trempé m’a-t-on dit. Ce qui m’inquiète le plus, en vérité, est la présence d’un homme qui semble la suivre partout comme son ombre. Pour guetter le moment où je pourrais passer à l’action, il faudrait que je m’infiltre à l’intérieur des murs de cette forteresse. C’est risqué. Je n’ai cependant pas le choix si je veux vivre un jour de plus.

Durant la journée du treize mars, je reste dans ma chambre d’auberge pour me préparer et me reposer. Je compte passer à l’action durant la nuit. Cela est plus simple pour me dissimuler parmi les ombres. Par pure chance, je suis parvenu à avoir des informations sur la disposition des bâtiments par un cadet un peu trop bavard, bien que ce ne fut pas le sujet de conversation de base. Il lui fallait m’en dire plus pour me raconter comment il était parvenu à faire une farce à un Shīfù, ou quelque chose comme ça. Il m’a également parlé un peu plus en détail de leurs forces, mais puisque j’ai du mal à comprendre tout ce qui touche à la cultivation, je doute pouvoir l’utiliser à mon avantage. A vrai dire, je n’ai pas compris en quoi consistait toutes ces techniques sur lesquelles il s’est vanté. Enfin, qu’importe.

La nuit tombe. Tout vêtu de noir, je sors par ma fenêtre pour atteindre la rue en me dissimulant dans les ombres des bâtiments. Mes dagues sont à ma ceinture et, dans mes vêtements, je possède plusieurs types de drogues et de poisons. Avec un peu de chance, je pourrais lui donner une mort aussi douce que possible et sans que cela mette à mal ma présence. C’est dans cette optique que je me dirige vers LianHua Wu. Une fois les lieux atteints, je passe mon col sur la moitié basse de mon visage, incluant mon nez, pour cacher le bruit de ma respiration. Puis, passant par les toits, je vais à la recherche du pavillon de la demoiselle dont je dois prendre la vie. En avançant, je me rends compte que les informations que j’ai récoltées plus par hasard que par volonté de ma part sont plus précises que je le pensais. J’arrive donc rapidement et discrètement sur les lieux et entre par une fenêtre sans me faire voir. Je craignais vraiment que les personnes semblant être incapables de dormir ou étant de garde puissent me trouver. Ou qu’elle soit là. Mais puisqu’elle semble absente, j’en profite pour me diriger vers la table où se trouve une tasse de thé encore pleine et une théière. Je sors alors un sachet de poison. J’en mets dans les deux récipients ainsi qu’à l’intérieur du bec de la théière pour être certain qu’elle puisse être empoisonnée même si elle venait à refaire du thé.

Je suis bien conscient que ma tentative n’est pas infaillible. Il y a encore bien trop de variables, comme la possibilité qu’elle lave entièrement la théière. Voilà pourquoi je me cache juste entre le mur et une armoire, me faufilant dans l’ombre, de sorte à pouvoir sortir la poignarder si besoin. Le tout en espérant que l’homme dont j’ai entendu parler et qui semble agir comme un garde du corps ne l'accompagne pas à ce moment-là. Je ne voudrais avoir à me battre contre deux personnes à la fois, je serais certain de perdre.

Heureusement que je suis plutôt rapide, sinon j’aurais été pris sur le fait. Je me demande pourquoi l’absence de ma cible et de son garde du corps a été si courte. N’ont-ils pas été appelés pour une urgence ? Il faut croire que celle-ci n’était pas si problématique si elle ne leur a pris que quelques minutes. Caché, je me permets d’écouter leur conversation et c’est ainsi que je comprends que c’est l’inquiétude qui l’a poussée à aller se renseigner sur la santé d’un de ses cadets. Inquiétude moyennement partagée par son accompagnateur qui la rassure sur la robustesse des membres de ce clan. En soit, rien qui puisse vraiment m’intéresser, contrairement à la suite.

Qu’il y ait une seule tasse de thé pose problème à la jeune dame qui propose alors de changer de thé ou de le remplacer par de l’alcool. Évidemment, cet homme qui ne cesse de faire sonner sa clochette choisit la seconde option, mettant tous mes plans à l’eau. Je vais donc devoir passer au plan B. Fort heureusement, mes lames sont enduites de poison et une égratignure me permettra de terminer ma mission. Enfin, si j’arrive à tenir tête à ces deux personnes. Elles ont l’air très capables et je ne connais pas les techniques qu’elles utilisent. Je suis grandement désavantagé et cela me déplaît.

Je tique alors que le gaillard prend la demoiselle dans ses bras alors qu’ils sont près de la table. Habilement, j’évite les éclaboussures de thé et la théière qui aurait pu m’assommer en un coup. Je me demande comment il a réussi à détecter ma présence. Il n’aurait pas dû y parvenir, pourtant c’est bel et bien à moi qu’il s’adresse dans un reproche de s’introduire dans le pavillon d’une dame. Comme si cela pouvait m’importer d’une quelconque manière. Dommage que je sois immunisé aux poisons, j’aurais préféré en avaler plutôt que laisser quiconque me soutirer des informations. Heureusement, j’ai été entraîné pour ne pas parler sous la torture et, au pire, je n’aurais qu’à me mordre la langue. Du moins, avant qu’on ne me bâillonne. Quoiqu’il en soit, je n’arriverais à rien en restant là puisqu’il est clair qu’il m’a détecté. Je ne tiens pas à me laisser piéger comme un rat non plus.

Silencieusement, toujours caché sous ma capuche et le col montant jusqu’à mon nez, je sors de l’ombre en les fixant tous les deux. A quoi bon dire quoi que ce soit ? Cela ne serait que donner des informations qui ne doivent être divulguées et je suppose qu’ils saisiront très bientôt mes intentions. A moins que je prenne la fuite ? Ce serait une option plus sûre, mais qui m’empêcherait de la tuer avant un moment. Hors cela doit être fait le plus rapidement possible selon les ordres. Je ne dois pas prendre ce risque, quitte à mettre ma vie en jeu.

Pour toutes ces raisons, je m’élance rapidement vers eux en sortant mes dagues de leurs fourreaux. Mes coups sont précis alors que je suis près d’eux, mais aucun n’atteint celle qui est destinée à mourir de ma main. Ce que j’espère alors c’est que son garde du corps soit empoisonné par une coupure et que cela me laisse une opportunité.

Je n’ai que peu d’intérêt pour les commentaires sans intérêt de ma cible. En tout cas, contrairement à son garde du corps, elle ne semble pas avoir compris la gravité de la situation sans quoi elle m’aurait sans doute déjà supplié de la laisser vivre. Mais, quitte à choisir, je préfère encore chérir celle que m’a donnée ma mère et qu’elle a protégé au prix de son existence. Cela n’aurait donc pas fonctionné sur moi. Je préfère donc pleinement me concentrer sur les pour et les contres de la fuite puis, ma décision prise, attaquer avec vivacité dans l’espoir d’en finir aussi rapidement que possible. Je sais que cela ne sera pas simple, rien qu’en voyant qu’ils sont deux contre moi. Mais qui ne tente rien n’a rien. Je ne veux pas souffrir pour une gamine que je ne connais pas, ni même prendre le risque de mourir pour elle ! Ca, jamais !!

Le coup de fouet me fait dévier. C’est pénible ! Cela m’a fait perdre mon équilibre et mes gestes deviennent un peu moins précis à cause de cette erreur de calcul. Sans compter que je me retrouve alors totalement face à cet homme bien plus grand que moi et qui me lance la tasse que j’évite avec moins d’aisance que je l’aurais voulu. Je n’ai plus qu’à le mettre à terre pour atteindre ma cible. Je n’ai pas le choix. Je termine mon attaque. Pas grave si ce n’est pas précis. Tant pis si le coup ne lui est pas fatal. Tout ce que je veux c’est que ce géant soit paralysé et me fiche la paix une bonne fois pour toute ! Alors, quand ma lame lui transperce la main, je suis soulagé. Enfin une bonne chose de faite. Je ne m’attendais pas à ce qu’il en profite pour m’attraper aussi fermement. Ce monstre ne ressent pas la douleur ou ça se passe comment ?! Je tente alors de me libérer, d’abord avec mon autre dague mais puisqu’il en profite pour m’attraper le poignet je me concentre sur mon jeu de jambes. Évidemment, il devait s’en douter. Alors, je tente de mettre mon agilité à l’épreuve afin de lui faire assez mal pour qu’il desserre ses prises. Au point que j’en oublie que la femme aussi est armée.

Un premier hurlement étouffé sort de ma gorge et des larmes de mes yeux alors qu’une douleur perçante m’irradie. Pourquoi là de tous les endroits ?! Même mes “éducateurs” n’ont jamais fait preuve d’autant de cruauté ! En même temps, cela aurait pu nuire à ma possible descendance puisqu’ils m’ont forcé à en avoir une. Mais quand même !!!
Je peine à reprendre mon souffle qu’une autre douleur me foudroie. Quelle bande de monstres… Telles sont mes dernières pensées alors que tout devient noir autour de moi, mes muscles se relâchants d’un coup.

A cause de la douleur et de l'énergie de Zidian, je ne me réveille pas. Ni lorsqu'on tente de me réveiller, ni lors de la fouille.

Sur moi, il est possible de trouver quelques aiguilles empoisonnées, deux petits projectiles que j'utilise généralement pour faire diversion, ainsi que divers poisons et antidotes. Les paquets sont pliés soigneusement de différentes manière dans des papiers aux différents textures afin que je puisse être capable de les différencier au toucher. Celui contenant l'antidote contre la paralysie semble avoir les bord du paquet ciselés et son toucher est rapeux.

Outre cela, je ne possède rien. J'ai fais en sorte de partir léger et je n'ai rien pris qui puisse m'identifier. Tout ce qui peut mettre le doute sur ma provenance est l'insigne de mon maître gravée au fer chauffé à blanc apposée au niveau de mon coeur.

Evidemment, la première chose que je ressens alors que je m’éveille c’est la douleur. Avec la faim, n’est-ce pas la seule chose que je ressens dès que je suis sur le point d’ouvrir les yeux ? Maintenant, le tout est de savoir pourquoi j’ai aussi mal, et dans quelle situation je me trouve.

Très vite, je me rappelle de ma mission : tuer la Zōngzhu de YunmengJiang sur ordre de l’empereur. Sauf que non seulement cette bonne femme n’était pas seule mais, en plus de ça, elle était du genre cruelle. De toute façon, toutes les femmes sont effrayantes à mes yeux. Celle-ci n’est qu’au sommet de celles qui me font le plus peur. Je me demande ce qu’elle est capable de faire sans son fouet. Avec un peu de chance, je pourrais la priver de sa vie si je parviens à le lui subtiliser. Il faut simplement que je… retrouve la mobilité de mes membres si j’en crois les liens que je sens à mes poignets, et l’endroit où elle le cache. Parce que, de ce que j’ai pu constater, elle ne l’avait pas sur elle quand elle est entrée dans la pièce. Je me demande également combien de temps est passé depuis qu’elle m’a assommé. Sans doute peu de temps si j’en crois la vague agitation qui se fait autour de moi. Il semble également que j’ai été fouillé. Bon… Cela signifie que mes armes cachées et mes poisons sont désormais hors de ma portée. Mes dagues ont sans doute été confisquées aussi. Il ne me reste donc plus qu’une option si je parviens à me sortir de ce merdier : la fuite. Je doute que mon rapport soit plaisant à écouter pour mon commanditaire.

Maintenant que j’ai rapidement saisi ma situation, j’ouvre doucement les yeux. Un gars près de moi fait part aux autres que je suis réveillé. De ce que je peux constater malgré mes maux de tête, c’est que je suis toujours dans la même pièce. Si j’en juge le désordre et l’état des deux personnes que j’ai attaquées, alors il ne s’est pas passé tant de temps que ça. Je pensais qu’avec de tels coups je serais resté inconscient au moins pour le reste de la nuit, ce qui n’est vraisemblablement pas le cas.
Totalement adossé au mur derrière moi, faisant attention de ne pas écraser mes mains pour ne pas me faire plus de mal, je regarde la scène et les personnes se trouvant devant moi. Je suis prêt à me faire torturer et interroger. Qui sait, peut-être que ma vie va s’arrêter là. Pff… J’aurais préféré vivre un peu plus longtemps. Toutefois, je n’ai pas vraiment beaucoup plus d’options. Soit je me fais tuer ici pour ma tentative d’assassinat, soit je me fait tuer pour désertion, soit… parce que je n’ai pas réussi ma mission et qu’on a vu mon visage. Qui sait. Quoi qu’il en soit, mon destin ne m’appartient plus. Tout ce que je peux faire maintenant c’est attendre de voir ce qui va m’être demandé, et, surtout, garder le silence quoi qu’il arrive.

Je ne sais pas si je peux être soulagé dans ma situation, mais je ne peux pas m’empêcher de l’être alors que c’est le grand gaillard qui semble vouloir s’occuper de moi. En me fouillant ils ont dû trouver l’antidote pour qu’il puisse bouger comme ça. Ca tombe vraiment bien, même si je déteste l’idée d’avoir perdu mes échantillons de poisons et d’antidotes, mai je déteste les personnes de l’autre sexe. C’est plus fort que moi. Mais je n’en montre rien. Tout comme je ne me montre pas victorieux ou insolent. Je pense qu’on pourrait dire que j’ai opté pour une totale impassibilité. Après tout, quoi que je fasse, ça ne changera rien à mon avenir.
… Hein ? C’est tout ce qu’il a à me demander ? Nan… Il doit vouloir y aller par étape. Je ne vois pas d’autres explications. A quoi pourrait bien lui servir mon nom ? Quant à la personne qui m’envoie… Si j’en juge les courants d’air dans mon vêtement, je suis certain qu’ils ne sont pas ignorants de l’insigne sur ma poitrine. Celle qui fut si douloureuse à porter depuis mon plus jeune âge. Ha ! Franchement, c’est me prendre pour un abruti que de me poser une question si évidente. A moins qu’il ne soit simplement en train de tester ma coopération, donc s’ils vont être obligés de me torturer ou non.

Rien ne me garantie que je puisse avoir un bénéfice en disant quoi que ce soit. Au contraire, je serais même d’avis que j’aurais encore plus à perdre en prononçant le moindre mot, même dans la mort. Au vu des activités du maître, je ne peux que redouter ce qu’il pourrait faire à mon encontre comme punition. Comme preuve, j’ai des images assez horribles qui me reviennent en mémoire le temps d’une seconde. Je ferme donc les yeux qui ne se sont jamais posés sur leurs visages et garde mes lèvres scellées.