Mon Shīfu est vraiment pas méchant avec moi. Je comprends pas du tout pourquoi il est pas comme les autres, mais c’est mieux comme ça. Parce que, comme ça, j’ai pas peur quand il bouge. Enfin, pas trop. J’ai juste peur qu’il aille trop loin et que je puisse pas aller avec lui après. Je veux pas qu’il me laisse tout seul. Tout seul, j’arriverais pas à rester loin de ce qui fait mal et des gens qui se mettent en colère, des monstres. Et s’il part, il pourra pas m’apprendre. Il y a tellement de choses que je sais pas !

Il s’en va pas. Il s'assoit juste par terre devant moi. Je le regarde faire et… Pourquoi il tape le sol devant lui ? Je réfléchis avant de penser que c’est pas agréable de baisser la tête pour l’écouter. Alors tout doucement pour pas avoir mal et pour me remettre debout si jamais il voulait pas que je fasse ça, je m'assois comme lui sur le sol. J’ai l’habitude de le faire tout le temps. Comme d’habitude, je garde mes jambes contre moi pour les serrer dans mes bras et je regarde Shīfu. Les gens morts marchent autour de nous, mais je les oublie vite parce que je me concentre sur les réponses à mes questions.

Quand il se tait, je récapitule pour moi ce qu’il m’a dit sur la rancoeur et je me rends compte que c’est vrai que je suis très en colère et triste à cause de ce qu’on m’a toujours fait. Je veux plus jamais qu’on me le fasse ! Mais pourquoi c’est puissant et dangereux ? Ah non, “très” dangereux, il a dit. Mais pourquoi ? Il me l’a pas dit. Il faut que je lui demande, mais après parce qu’il continue avec le Yuan Qi. Ca, c’est une énergie qui donne le droit d’utiliser la rancœur. Je crois que c’est ça. Mais comment on fait ça ? Comment on voit le Yuan Qi ? Ca aussi, je dois lui demander. Tiens, pourquoi est-ce qu’il bouge la terre comme ça ? Il arrête pour me parler du Mo Dao et, quand j’essaie de bien comprendre, il fait des dessins. Ah ! J’ai compris ! Il attend que j’ai bien compris ce qu’il m’explique. C’est gentil. Donc, le Mo Dao, c’est comme quand on fait pousser dans les champs, mais c’est pour le Yuan Qi qui permet d’utiliser la rancœur. Je crois que je comprends, mais c’est pas facile à imaginer comment on fait ça, même s’il m’a montré. Jouer de la musique, c’est juste un moyen, je crois. Mais c’est comme faire mal : il y a plein de façons de le faire, mais ça veut pas dire que ça marche si on fait pas correctement.

Je hoche la tête pour dire à Shīfu que je comprends mieux ce qu’il m’a dit. Mais il y a quand même encore des trucs que je comprends pas, que je veux demander. Mais, avant, je dois répondre à sa question à lui. Qu’est-ce que j’en pense ? C’est facile comme question, mais difficile en même temps. Je suis pas sûr de comment je dois dire ça. Mais j’essaie quand même après un peu de silence :



Je crois que j’ai répondu, non ? J’espère que oui. Parce que moi aussi je veux poser des questions. Précautionneusement, craintivement, je tente sans oser le regarder dans les yeux, préférant regarder ses dessins :



Après, faudra que je lui demande comment on fait pour voir le Yuan Qi parce que si je le vois pas, je peux pas l’utiliser, je pense. Mais je dois pas demander sans avoir une réponse pour le danger. C’est important, je pense.

Heureusement que j’ai posé qu’une seule question parce qu’il y a plein de choses que je dois retenir.

Je suis soulagé que j’aurais pas mal en utilisant cette énergie appelée Yuan Qi, donc la rancœur que je crois que je ressens. Je suis vraiment très en colère que je sois tout seul à avoir mal tous les jours. Je suis triste que tout le monde me déteste et que personne m’ait aidé avant que Shīfu soit là. Je veux pas que ça continue et c’est pour ça que je veux quitter le village. Je sais juste pas ce que je vais faire après. J’ai peur qu’on me déteste partout. J’ai peur de mourir si je sais pas comment avoir de la nourriture ou à boire. Par contre, c’est quoi “devenir fou” ? Ça fait pas mal, ça je le sais parce que Shīfu vient de me le dire. Je veux avoir une réponse, alors je regarde Shīfu pour bien comprendre ce qu’il me dit.

Perdre la raison, devenir fou, alors ça veut dire qu’on sait plus ce que c’est le bien et le mal, qu’on fait des choses qu’on fait pas normalement, qu’on décide des trucs sans le savoir et qu’on oublie ses souvenirs. Je crois que j’ai tout compris. Et ça le fait parce que on utilise trop la rancœur. Le Yuan Qi est “comme un couteau”. Je sais que un couteau ça fait mal, mais que ça peut aussi couper la nourriture. Je le sais parce que je l’ai vu en regardant tout autour de moi tout le temps. Alors je comprends ce que Shīfu a voulu me dire. Alors, si je veux pas devenir fou, il faut pas que j’utilise le Yuan Qi tout le temps. Il faut que je sache le faire au bon moment, comme il me l’a dit tout à l’heure. Tout est lié !

Je hoche la tête à chaque fois que je comprends les choses, même quand il parle encore. C’est parfois un peu difficile, mais je fais de mon mieux parce que je veux vraiment apprendre. Je veux comprendre et, comme ça, je pourrais m’en aller avec lui loin d’ici en faisant en sorte que j’ai plus jamais mal.

Shīfu me parle aussi de personnes qui peuvent soigner la folie. Ce sont des personnes habillées en blanc avec un bandeau sur la tête. Il me dit que je dois quand même faire attention d’aller que vers ceux qui ont un instrument de musique avec eux parce que les autres servent à rien. Je me demande si je sers à rien parce que j’ai pas d’instrument de musique. Mais je hoche quand même la tête pour dire à mon Shīfu que j’ai bien compris ce qu’il m’a dit à propos de ces personnes. Je suis quand même impressionné par tout ça. Je pensais pas que c’était pas simple quand il m’a dit que j’allais apprendre.

Il me demande après si je peux apprendre “par coeur”. Je fronce les sourcils pendant une seconde et, en baissant la tête, j’avoue d’une petite voix :



Et comme je dois attendre de comprendre et de savoir ce qu’il veut que j’apprenne comme ça, je peux pas lui poser mon autre question. Je dois être sage et pas parler à sa place. Je sais qu’il déteste ça. Je veux pas le mettre en colère.

Sage. Je serais sage. Et comme je veux l’être, j’écoute tout ce que me dit Shīfu. Là, il m’explique que “parkeur” c’est retenir tous les mots correctement pour faire quelque chose avec le Yuan Qi. J’en viens encore à cette question que je veux vraiment poser : comment on le voit ? Et il me dit aussi qu’il faut surtout pas que je me trompe de mot sinon ça marchera pas. Est-ce que je vais réussir à le faire ? J’ai jamais essayé avant aujourd’hui. J’ai peur de pas y arriver. Je veux pas que Shīfu m’en veuille pour ça…

Je veux pas montrer que j’ai peur. Alors, je regarde Shīfu et j’écoute pour pas rater ce que je dois apprendre. Et ça vient après qu’il me dit qu’il m’expliquera après que j’ai appris chaque mot. Je me concentre, j’écoute, je bloque sur des mots, mais je répète. La première fois, j’arrive que la première partie sur les trois. La deuxième fois j’arrive en entier sauf pour le dernier mot. Mais, après ça, j’y arrive totalement et, pour être sûr, je le répète encore deux fois avant de regarder Hei’An Shīfu pour voir si j’ai vraiment raison.

Maintenant que je sais la phrase, il veut savoir si je me pose des questions et s’il y a des mots que je comprends pas. Je réfléchis juste un tout petit peu. Après, je lui demande sans être sûr :



J’espère aussi qu’après je pourrait savoir ce que cette phrase fait quand on voit le Yuan Qi. C’est très difficile. J’ai envie de tout savoir. J’aime vraiment beaucoup apprendre avec Shīfu. Quand il explique, je comprends. Les monstres, ils expliquent pas. Je dois juste faire ce qu’ils me disent. Je préfère vraiment avec Shīfu.

Est-ce que mes questions sont trop dures ? J’ai un peu peur parce que si Shīfu ne peut pas répondre il va peut-être se mettre en colère. Et s’il se met en colère, alors ça va faire comme avec ceux avec qui il était en colère. Est-ce qu’il l’est vraiment jamais avec moi ? Ou c’est juste que je l’ai jamais mis en colère ? Je suis pas sûr et je veux pas savoir. Je veux vraiment pas qu’il me fasse mal. Je serais un gentil garçon.

En premier, il me dit que “taquin” c’est quand on énerve quelqu’un et que ça amuse. Mais… énerver… c’est quand on met quelqu’un en colère, non ? Alors, ça veut dire que le quelqu’un va faire mal. Comment on peut rire quand on met quelqu’un en colère. Ça fait peur ! Est-ce que Shīfu déteste pas mettre les autres en colère ? Est-ce qu’il est taquin ? Il faudrait que je lui demande… si j’y pense. Là, je veux vraiment apprendre le Yuan Qi ! Et comme il me parle de comment voir le Yuan Qi, alors je veux écouter. Ah ! On voit pas mais on sent le Yuan Qi. Je grimace quand il parle de la cave. Ca pue dedans ! Je déteste la cave ! Je veux jamais plus y retourner. Tiens… je crois que la place sent pareil que la cave, mais je suis pas sûr. Aussi, il me dit qu’on peut faire pousser plein de cadavres là où ça sent le Yuan Qi et que la terre peut être toute noire. Mais, alors, est-ce que je peux savoir si quelqu’un a beaucoup de Yuan Qi ? Et est-ce que je vais puer si je l’utilise ?



Je crois que je sens rien sur Shīfu, mais peut-être que c’est parce qu’il utilise pas beaucoup. Ou alors, c’est parce qu’il a quelque chose de spécial pour pas sentir comme la cave. Je sais pas.

Oops !!! J’aurais pas dû demander maintenant… Je voulais pas couper Shīfu… Est-ce qu’il va être en colère… ?
Shīfu est pas en colère et il parle d’une autre phrase que je dois apprendre parce que je dois toutes les dire après. Il faudra que je demande c’est quoi “deux”. Et “seconde” aussi. C’est des mots bizarres. Mais je montre à Shīfu que je suis prêt et j’écoute bien. Et répète dans ma tête quand il dit et, quand il a finit je dis la même chose sans me tromper. Tout content, je souris sans m’en rendre compte en disant tout :



Quand il me dit que c’est bon, je lui demande d’une petite voix et sans sourire :




Je veux vraiment tout savoir. Je sais pas comment dire ça, mais je déteste vraiment pas apprendre tout ça. Je veux en savoir plus. Toujours plus ! Je veux tout savoir !

Je crois que Shīfu savait pas non plus si ça pue sur les gens qui utilisent le Yuan Qi ou pas parce qu’il s’est senti avant de me dire que non. J’ai fait un bruit bizarre quand il a dit ça. Ça m'a tout secoué. Et quand je l’ai aussi vu, j’ai mis mes deux mains devant ma bouche et ça s’est arrêté. Après, j’ai tout écouté ce qu’il m’a dit.

Après, j’ai tout répété les phrases comme il les a dites. Je crois pas avoir fait de faute. Après, Shīfu a tapé dans ses mains. La première fois j’ai eu peur. Mais comme il le fait plusieurs fois et qu’il sourit, je me calme. Mais je comprends pas… Pourquoi il fait ça ? Ça veut dire quoi “félicitation” ? Ah ? J’ai vraiment tout fait bien ? C’est vrai ? Je rougis et je sais pas quoi faire. C’est la première fois qu’on me dit un truc comme ça… Je sais pas quoi dire, mais je crois que ça me fait plaisir de l’entendre me dire que j’ai fait bien. Je me balance un peu puis je lui pose toutes mes questions.

Shīfu croise les bras en me regardant. Euh.. J’ai dit quelque chose qu’il fallait pas ? Je comprends pas pourquoi il fait ça… Mais il reste pas longtemps, il me répond quand même, alors il doit pas être trop en colère.
Invoquer, alors c’est comme appeler très fort ? Ouah ! C’est trop bien ! J’ai hâte d’essayer !
J’ai raison pour barbouiller ! J’ai bien fait d’écouter quand les gens parlaient autour de moi et de regarder sans que personne me voit. Comme ça j’ai pu comprendre plein de trucs tout seul.
Je regarde les doigts de Shīfu et je fais pareil quand il a fini de montrer. Je suis pas sûr de comprendre alors je fais encore une fois. Je crois savoir, mais pour être sûr je prends un bâton et, à côté du dessin de Shīfu je trace des traits devant moi en disant les mots qu’il m’a dit avant. Un, deux et trois.. Puis je regarde Shīfu pour voir si j’ai encore raison.

Je sais toujours pas ce que c’est “seconde”, mais c’est pas grave. Shīfu me dit à la place ce que ça fait la phrase et je suis content. Je veux voir les poupées bouger. Ça a l’air d’être bien. Alors, je dis oui avec la tête pour qu’il me montre comment ça fait. Je pense qu’on va pas rester ici pour faire ça. Alors, je me lève. Les pas vivants autour de nous me font pas peur. Je les aime bien en fait, même si je déteste comment ils sentent.



Maintenant, j’irais partout où Shīfu ira. J’aurais pas peur ! Sauf si on va sur la place… Mais sinon j’ai plus peur !

Ah~~ Pour les poupées c’est comme pour ceux qui sont avec nous. Il faut leur demander. Alors, il va demander quoi ? Oh ? C’est quoi “jouer à chat” ? J’ai hâte de voir ! Je me demande si les enfants du village connaissent ce jeu, eux aussi.

Shīfu marche vite, plus qu’avant. Mais je le suis quand même. Il faut pas que je lui montre que je peux pas aller vite sinon il me laissera derrière. Il faut que je sois un bon garçon. Mais il va pas trop vite quand même. Je peux encore marcher à côté de lui, même si ça fait un peu mal à la jambe. Puis il cherche quelque chose. Les poupées, non ? Parce qu’on va invoquer les poupées. Je me demande si je peux invoquer Shīfu plus tard si jamais je suis loin de lui.

Je me cache un peu du monstre qui donne plein d’objets, mais je regarde quand même Shīfu prendre des poupées. Je compte quand même trois sur mes doigts avant de compter les poupées pour être sûr qu’elles sont toutes là. Et pour pas oublier.

Quand on a les poupées, on va dans un endroit où personne ne va jamais. Je regarde alors tout ce que fait Shīfu et je grimace quand il se fait mal dans la main. J’aime pas avoir mal… Shīfu sent rien ? En tout cas, il met le sang rouge sur les yeux des poupées avant de dire les deux phrases que j’ai apprises tout à l’heure.
Les poupées bougent ! Les poupées bougent ! C’est trop bien !! Mes joues me font un peu mal, mais c’est pas grave parce que les poupées bougent comme Shīfu l’a dit ! Mais quand elles rient ça fait un peu peur… On dirait qu’elles vont faire mal… Je veux pas avoir mal…
Shīfu montre ailleurs avec le doigt. Je regarde et je vois les enfants qui m’ont fait mal ce matin. Je me cache derrière lui. Je déteste quand ils me regardent comme ça. Après, ils font toujours mal… Ah… Est-ce qu’il va dire aux poupées de faire mal à eux ? J’ai raison, c’est pour les enfants. Mais c’est pas pour faire mal. Pour “jouer à chat”. Ils vont tous faire “miaou” ensemble, alors ? Ca a l’air d’être drôle pour les poupées et elles partent vers les enfants.

Oh ! Les enfants ont peur ! Et les poupées courent après les enfants ! Au début je regarde ça et, sans que je sache pourquoi, je ris. Je comprends pas trop pourquoi je fais ça, mais je veux que les poupées continuent. Les enfants sont comme tous les monstres du village alors je trouve drôle de les voir avoir peur comme ça. Je veux qu’ils aient toujours peur comme moi j’ai toujours peur.



Je veux pas voir si elles les mangent. Mais c’est normal qu’elles fassent ça parce qu’elles jouent à chat. Sinon, pourquoi elles courent après les enfants ? Et c’est quoi le but du jeu si elles les mangent pas comme les chats mangent les souris ? Je dois avoir raison, j’en suis sûr !

Je regarde mon Shīfu parce que j’attends la réponse à ma question. Il sourit. Je sais qu’il est pas méchant alors ça va, mais je déteste quand je vois ce sourire sur les autres. A chaque fois qu’ils le font, ça fait mal. Et je veux pas avoir mal, moi… Mais il fait rien. Il dit juste que les poupées sont comme de vrais chats et que les enfants sont de vraies souris, alors elles vont les manger. Je comprends mieux pourquoi quand les enfants jouaient entre eux ils étaient jamais blessés.
Qu’est-ce que je préfère ? Je suis pas sûr… Mais j’essaye quand même de répondre à mon Shīfu :



Oui, c’est ça. Je veux pas que ça me fasse mal. Mais est-ce que je suis pas méchant, moi aussi ? On dit toujours que je porte malheur, que tout le monde est triste à cause de moi… Alors je suis un monstre aussi. … Non. Je préfère quand je suis avec mon Shīfu qui est gentil avec moi.
Il me demande ce que je veux faire maintenant. Je veux apprendre, mais je veux aussi essayer de jouer avec les poupées. Je veux qu’elles fassent quelque chose pour moi… Mais est-ce que je peux vraiment demander ? Il avait dit pas tout de suite pour apprendre.
Je peux pas répondre tout de suite. Shīfu a une idée et me dit de le suivre. Alors je le suis. On va encore au début du village, mais on va pas au coin où on était avant quand il m’a appris ce qu’est le Yuan Qi et la rancœur. Je le regarde faire. Pour une fois, j’ai pas peur de ce qui se passe autour de moi. Pour une fois, je regarde pas tout le temps autour de moi. Je regarde ce que fait Shīfu et je me tiens pas à lui parce que je sais qu’il laissera personne me faire mal. Mais je me demande ce qu’il fait avec le bambou. Pourquoi il le coupe et fait des trous dedans ?

Quand il me donne le morceau de bambou, je le prends et le regarde en le bougeant dans tous les sens. Il me dit que c’est mieux pour apprendre. Je comprends alors ce que c’est. Une flûte ! Comme la sienne ! C’est une flûte ! Sans réfléchir, je saute vers lui pour le prendre dans mes bras et le serrer fort alors que je ferme les yeux. Je reste un peu comme ça avant de me rendre compte… Je sais pas si j’ai le droit… … Je me recule doucement en baissant la tête. Je sais pas trop décrire ce que je ressens, alors j’essaie de m’expliquer à Shīfu :



Je sers la flûte contre moi. Je veux que personne me la prenne. Jamais. C’est mon tout premier cadeau et pour moi il est très, très, très important.
Je réfléchis un peu avant de demander doucement :



Je déteste le monstre roi et je déteste ce qu’il a entre les jambes. Je déteste tout le village ! Je veux qu’ils soient tous mangés !! Qu’ils soient tous des souris qui se font manger par les chats !! Comme ça ils feront plus jamais mal à personne !

J’ai vraiment dû faire quelque chose de mal. Parce qu’il a eu une sorte de saut. Comme s’il avait eu peur. Comme moi quand on me fait quelque chose que je veux pas. Quand on me touche. Ou quand on tend la main vers moi. Comme quand il m’a soigné après que j’ai été propre. Je voulais pas faire quelque chose qu’il voulait pas… Je voulais pas qu’il ait mal ou peur… Je veux pas devenir un monstre comme tous ceux qui sont au village… Alors je le lâche. Je recule. Et, aussi, je dis les mots que personne me dit jamais. Le mot que j’ai entendu des autres sans jamais qu’on me le dise. Un mot que j’ai fini par comprendre en observant, même si je peux pas en être tout à fait sûr… “pardon”. Je me sens pas bien d’avoir fait mal à mon maître… Je voulais pas et je l’ai quand même fait. Qu’est-ce que je peux faire pour qu’il me dise que c’est bon ? Mais je veux pas non plus qu’il me gronde ou qu’il me dise de mauvaises choses… Qu’est-ce que je dois…

Je peux pas réfléchir. Je sais même pas si j’ai pu terminer mes pensées ou essayer de réfléchir à comment faire pour qu’il me tape pas et me gronde pas. Ah non, il m’a dit qu’il me taperait pas. Mais quand même… Je sais pas. Je sais plus. Et lui tend une main vers moi. Je vois que ça. Sa main. Qui est plus proche. Encore et encore. J’ai l’habitude de la douleur quand on approche la main comme ça. Je vois pas autre chose. Il y a rien d’autre qu’on pourrait faire. Il doit être en colère. Je sais que j’ai fait quelque chose de mal mais…
J’ai peur. Parce que j’ai peur, je mets mes mains sur ma tête pour me protéger. Je bouge pas, mais j’essaie de me faire plus petit. Je ferme même les yeux alors que j’attends la douleur. Elle vient pas. Je peux pas vraiment attendre qu’elle vienne. En fait, je sens autre chose à la place. Je sens sa main. Elle est sur ma tête. Il se passe quoi ? Je comprends pas…

La main de mon maître bouge sur ma tête. Ça fait bouger mes cheveux. Ça fait pas mal. Mais je comprends pas trop… Ca veut dire quoi ? Et mon maître me dit que la chaleur que j’ai senti a un nom. “Joie”. Et aussi un autre, mais il est plus difficile. Je regarde mon maître et ouvre des yeux en un peu plus grand quand il me dit que je peux faire les choses que je veux quand je ressens de la joie, cette chaleur que j’ai jamais sentie avant. Je me demande pourquoi, mais je hoche seulement la tête. Parce que, même si je veux poser la question, je pense pas à le faire. C’est juste trop bizarre. Trop différent. Même moi, je trouve bizarre ce que j’ai fait. Mais je ressens quand même encore la joie quand je sens entre mes mains la flûte que mon maître m’a donnée. Elle est là. Elle est à moi. Et je la serre contre moi en pensant à autre chose. Une chose qui fait mal mais qui pourrait être réparée avec ma nouvelle flûte. Alors, je demande à mon maître si je pourrais demander aux poupées de manger ce qu’il y a entre les jambes du monstre roi. Cette chose qui m’a fait tellement mal. D’ailleurs, si je peux le faire pour le monstre roi, je peux aussi pour toutes les personnes qui ont fait la même chose. Oui, j’ai vraiment envie de leur enlever. Vraiment. Je crois que j’ai jamais eu autant envie d’autre chose que manger ou m’enfuir comme ça.

Mon maître se baisse en pliant les jambes. Je le regarde alors en baissant régulièrement les yeux. J’ai beaucoup de mauvais souvenirs quand je regarde mon maître dans les yeux. Je veux le faire. Mais c’est difficile. Très dur… Mais je peux quand même vois que ses yeux deviennent un peu rouge quand il me dit que je pourrai le faire un autre jour. Mais, pourquoi pas aujourd’hui ?!
Je veux lui demander et il répond avant que j’ouvre la bouche. Il dit que si j’essaie mais que je le fais mal, je pourrai être en danger. J’essaie d’imaginer ce qu’il me demande d’imaginer, donc que je fais ce que je veux avec ma flûte mais que je suis très fatigué après. C’est vrai que si je suis fatigué je peux plus courir… Et alors on pourrait me taper ou même m’emmener dans la cave ou sur la place. Je pâlis en imaginant ça et je regarde mon maître avec le cœur au bord des lèvres. Je veux pas !
Je hoche la tête plusieurs fois pour montrer à mon maître que je comprends qu’il faut faire attention d’être en sécurité pour faire une technique et de bien la connaître pour pas qu’on me fasse mal après. Je veux pas qu’on me fasse mal de toute façon, alors je ferais attention. Mais je savais pas que demander aux poupées de faire quelque chose fatiguait autant.

Mon maître me dit de venir avec lui pour apprendre à jouer avec ma flûte. Je suis triste que c’est pas pour me défendre, mais je suis curieux. Comment était cette personne qui a créé le Yuan Qi ? Pourquoi elle l’a fait ? Comment est cette mélodie ?
Curieux, je prends la main de mon maître pour rester avec lui, marcher avec lui. Je veux pas rester loin de lui. En plus, sa main est toute chaude et toute douce. J’aime bien la toucher. J’espère qu’il aime bien, lui aussi.
Quand on a trouvé un coin, je lâche sa main même si je veux pas parce qu’il va s’asseoir par terre. J’ai beaucoup réfléchi si je peux poser une de mes questions ou pas, parce que j’ai aussi très envie de connaître la mélodie. Mais je demande quand même en me mettant en face et à côté de mon maître :



Je me demande si je vais rencontrer un jour cette personne. Et est-ce que mon maître l’a vue un jour ? Et pourquoi elle a créé le Yuan Qi ? Est-ce que c’était un garçon ou une fille ? Est-ce que mon maître lui ressemble un peu ? Je veux savoir beaucoup de choses sur cette personne. Ah… J’ai tellement envie de savoir plein de choses et d’apprendre que je crois que j’ai oublié si mon maître m’a déjà parlé de cette personne ou pas… Je suis vraiment pas un bon apprenti… Est-ce que mon maître va pas aimer ça ?