Après avoir ramené Huǒ Yín Húdié à l’entrée de Yushen Buzhi et l’avoir remercié en lui promettant mon aide quand celle-ci lui serait utile, je m’en retourne à l’infirmerie. Nous avons appris beaucoup de choses concernant ma malédiction et je pense que faire le point sur la question avec mon Shīfu pourrait être utile. D’autant plus que je ne suis pas certain qu’il ait compris quelle était l’hypothèse de ce cultivateur itinérant qui est venu spécialement pour me venir en aide. De plus, une seconde raison m’amène à vouloir discuter plus amplement avec lui. Après tout, je ne pourrais pas repousser éternellement ce devoir qui est le mien, surtout après avoir été témoin d’un problème assez préoccupant.

Tranquillement, mes pas ne trahissent aucunement mes émotions. Pourtant, une part de moi voudrait se montrer plus rapide pour régler plus efficacement ces problèmes. J’ai l’impression de faire traîner les choses alors que certaines pourraient trouver leur résolution dans l’instant. De plus, Yīshī Shīfu n’est pas la seule personne que je dois rencontrer. Sūn Zàizhī Shīfu, le maître de théorie, celui de pratique, ainsi que mon père sont les autres personnes avec lesquelles je souhaite m’entretenir. Est-ce que je me précipite ? Suis-je sur la mauvaise voie ? Ces enfants me semblent avoir besoin d’un soutien en plus pour avancer à leur rythme et éviter d’être frustré au point de mettre leur santé en danger. Et puisque je sais qu’il est impossible de faire un suivi personnalisé pour tous, en plus d’être l’initiateur de ce projet, je compte bien les prendre sous mon aile. Après tout, je suis également celui qu’ils sont venus trouver quand ils avaient besoin. Enfin… pour signaler l’état de Lei-An en tout cas. Je me demande comment il va et si j’ai été trop dur avec lui. Avons-nous toujours été si éloignés l’un de l’autre depuis qu’il est tout petit ?

Doucement, je toque à la porte de l’infirmerie pour signaler mon retour. J’entre dès que j’en ai l’invitation et salue l’infirmier respectueusement. Je lui suis reconnaissant pour sa patience et, surtout, l’aide qu’il m’apporte alors que je suis certain qu’il n’en a pas forcément le temps. Je lui demande tranquillement :



Fugacement, le souvenir des longs doigts frais touchant ma peau me revient en mémoire. Je ne dois cependant pas m’attarder sur ce genre de détail. Non seulement ils sont très embarrassants, mais, en plus de cela, ils envahissent mon esprit qui se doit d’être clair pour mener les deux conversations que je souhaite avoir avec mon Shīfu avant de m’en aller. J’espère que nous ne serons pas dérangés, mais au vu de ma chance au moins partiellement scellée, si j’en crois les dires de Huǒ Yín Húdié, je doute que ce sera le cas. Je ne pensais pas qu’une telle valeur si inconstante aurait une si grande importance dans la vie de tous les jours. Ce n’est que maintenant que je ressens les effets de son absence que je m’en rends compte. Devrais-je en parler à mon père ? Cela ne l’accablerait-il pas plus ? Peut-être devrais-je poser la question au médecin qui doit être bien plus au courant de son état de santé que moi. En tant que Zhǎngwò, je me sens fort peu utile. Qu’est-ce que cela sera quand je deviendrais Zōngzhu à mon tour ? Je doute fort pouvoir mener le clan vers un avenir radieux. Alors, pourquoi me soutient-on dans cette entreprise vouée à l’échec ?

L’autorisation d'entrer sans frapper ne me met pas à l’aise. Protester serait sans doute malvenu, pourtant je ne peux m’empêcher de penser qu’il serait difficile pour moi de le faire sans penser au temps que je prends à autrui. Mon Shīfu est une personne très occupée et je doute que me voir venir sans prendre en considération son travail puisse être si plaisant pour lui. Toutefois, je ne fais que le saluer avant de le suivre jusque dans son bureau. Il semblerait que nous soyons lors d’une de ces journées calmes, sans trop de blessés. C’est plutôt rassurant et cela me donne l’occasion d’avoir le temps nécessaire de discuter. Si ma chance avait été totalement scellée, aurais-je été dans un environnement où je n’aurais pu espérer un peu d’aide ? Heureusement que ce n’est pas ainsi. Je ne voudrais pas influencer par ma seule présence le droit de vie et de mort des personnes qui m’entourent.

Assis à mes côtés, le médecin écoute mes questions et, dans une position que je pense être de réflexion, il me répond avoir effectivement ressenti ces reliefs insoupçonnés sur ma peau. Toutefois, contrairement à Huǒ Yín Húdié, il n’a pas été en mesure de les déchiffrer. Eh bien, puisque c’est la toute première fois que nous faisons face à une telle chose, ce n’est pas très étonnant. Je ne peux donc pas lui en vouloir pour cela. Rien que pouvoir ressentir ce qui ne devrait pas exister malgré sa discrétion est déjà un pas énorme vers la confiance que nous pouvons vouer à cet homme et ses dires. J’apprends ensuite qu’il s’agit d’une connaissance de Lan Lei-An, ce qui assure un peu plus le poids des dires de l’invité qui vient de s’en aller. Avec tout cela, bien que ma réaction soit normale, je m’en veux un peu d’avoir mis en doute ses paroles. Si seulement il s’agissait d’un ami de longue date pour que je puisse éviter de me poser tant de questions et, ainsi, avoir un peu plus d’espoir. Cela m’aiderait sans doute un peu plus.

Mon regard suit Yīshī Shīfu qui va prendre les notes du cultivateur itinérant sur son bureau pour les regarder. Je me rappelle encore de la comparaison que j’ai faite quand je les ai vues. Je me demande ce qu’en pense le médecin qui se garde bien de faire tout commentaire dépréciateur, ou appréciateur. A la place, il m’annonce qu’il compte bien faire des recherches dans les archives puisque c’est la seule chose dont il puisse être capable de faire pour moi pour l’instant. Je hoche doucement la tête et lui demande :



Je réfléchis un instant, pensant que je devrais peut-être commencer par suivre mes propres conseils de temps en temps. Cela fait, je demande, avec de l’inquiétude brillant dans mon regard sans que je laisse paraître cette émotion autrement :



Plus j’y pense, moins cela me semble être une bonne idée. Toutefois, maintenant que la question est posée, autant laisser le médecin du clan trancher. Il est le mieux placé pour connaître l’état de santé de mon père et son état d’esprit puisqu’ils sont amis depuis bien longtemps. Donc, il doit être capable de savoir comment il prendrait ce genre de nouvelles.

Je ne saurais quoi répondre de plus à mon Shīfu alors qu’il me remercie pour ma sollicitude. A mes yeux, c’est une réelle inquiétude de le voir s’épuiser à la tâche alors que ses recherches sont pour mon seul bien. Enfin… Cela pourrait s’avérer utile si quelqu’un d’autre venait à être la victime d’un tel sortilège. Toutefois, j’en doute fort puisque je suis celui qui a tué son initiatrice si on en croit les dires du cultivateur itinérant qui a inspecté les marques que je cache sous ces bandes. Je ne souhaite vraiment pas être la source de nouveaux malheurs, qu’il soit possible de leur trouver une solution ou non. Toutefois, je ne veux pas paraître impoli en insistant ou faire un manquement à la retenue qui est imposée par nos règles en lui montrant mes inquiétudes réelles. J’imagine qu’il est possible qu’il les ait déjà remarquées et comprises puisqu’il me connaît depuis toujours.

Ma réflexion m’amène donc à lui demander conseil sur l’utilité et, surtout, la possibilité de faire part de mon état à mon père. Je sais qu’il a déjà beaucoup à faire et à penser, alors lui donner une inquiétude supplémentaire est la dernière chose que je souhaite. Pourtant, j’aimerais pouvoir revenir à mes jeunes années pour ne plus avoir cette crainte de dire ce que j’ai sur le cœur. Je ne veux pas qu’on me pense incapable de tenir ce rôle de Zhǎngwò pour lequel je suis persuadé ne pas être fait à cause de ce genre de choses. Je suis certain que cela décevrait beaucoup mes aînés alors qu’ils ont beaucoup d’attentes à mon propos.

Avant de me donner la moindre réponse, Yīshī Shīfu me rejoint pour reprendre place sur le siège à mes côtés. Là, il m’assure que parler à mon père ne serait pas une erreur, m’expliquant que ce serait même un soulagement pour ce dernier que je me confie à lui. Bien que je ne sois pas certain d’en comprendre la raison au vu des règles imposées et la rupture que cela crée avec ce qui m’est dit, je n’ai pas le temps de poser la moindre question. Le médecin m’explique de lui-même que mon père s’inquiète pour moi, souhaite me soutenir ainsi que me protéger et que même son état de santé ne pourra jamais changer cela. Ce n’est pas si étonnant. Ma famille a toujours été aimante avec chacun de ses membres sans aucune exception, alors savoir que mon père tient à moi ne m’étonne pas, bien que cela soit tout de même un soulagement. Pourtant, malgré tout, n’est-ce pas un manquement de ma part de me montrer dans une telle faiblesse ? Ne suis-je pas moins utile en tant que Zhǎngwò dans cet état de faiblesse ? Ou même en tant que maître ? Ces doutes, je ne sais pas comment les formuler alors que j’ai baissé les yeux sur mes mains posées sur mes genoux. Comment le pourrais-je alors que j’ai si peur de la réponse que je pourrais recevoir ? Je ne comprends vraiment pas cette rupture entre ce qui est demandé au sein du clan et ce qui m’est dit par mon Shīfu.

Sans doute pour profiter du silence que je laisse planer, le médecin du clan m’avoue qu’il savait que j’estime que le rôle de Zhǎngwò, ou même de maître, est bien trop grand pour mes épaules et difficile à gérer. Surpris par un tel aveu, je lève les yeux sur lui, interrogateur. S’il l’a su, pourquoi m’avoir poussé à l’être ? Je n’ai pas vraiment de réponse de sa part, mais je le sais. Mon père étant malade, nous n’avions pas vraiment d’autres choix, surtout si mon père ne voulait pas prendre un de mes frères ou ma sœur comme héritier du clan. Le seul pouvant réellement me donner ses raisons, c’est le principal intéressé. Voilà pourquoi je ne dis rien, écoutant mon Shīfu regretter de m’avoir poussé dans ce rôle en oubliant de me préciser que j’ai le droit de demander de l’aide quand j’en ressens le besoin. Que je peux m’appuyer sur mes aînés en cas de doutes ou quand je me sens trop oppressé par mes devoirs. Je ne m’attendais pas à ce qu’on puisse voir si facilement mes faiblesses et je ressens d’autant plus de culpabilité. D’autant plus alors qu’il m’affirme également être triste que, devant lui qui m’a vu naître et grandir, je n’ose pas appeler mon père comme tel. Je ne saurais ce que je pourrais répondre à cela à part ce que je pense être la vérité depuis toujours. Ce que je finis par avouer d’une voix contrôlée malgré les émotions qui la font très légèrement trembler après un instant de silence :



Je ne dois pas le montrer et je m’efforce de le cacher de toutes mes forces. Pourtant, en réalité, je ressens une puissante envie de pleurer. Non seulement je ne me sens pas digne de mon rôle mais, en plus de ce poids énorme, j’ai l’impression qu’on me dit tout simplement que je faisais fausse route jusqu’à présent. Ce qui, au final, me rends d’autant plus indigne des attentes qu’on a de moi.

Les doutes ne cessent de me percer le cœur et je peine vraiment à voir les choses d’une autre manière que tel que je viens de l’exprimer. Certes, cette droiture dont je fais preuve m’a amené à une plus grande solitude que je ne pourrais l’exprimer. Toutefois, je me dis que c’était justement parce que je n’étais pas digne à leurs yeux. Comment aurait-il pu en être autrement ? Si j’avais été plus digne des attentes qui pesaient déjà sur mes épaules à cette époque, aurais-je pu garder à mes côtés ? Ou suis-je seulement en train de me tromper sur toute la ligne ? J’aimerais que cette question ne trouve pas de réponse tant cela me brise le cœur rien que d’imaginer que l’un ou l’autre soit possible.

Le regard de Yīshī Shīfu manque de me faire relâcher les larmes que je retiens avec peine. Je ne voulais pas le blesser, pourtant c’est un regard triste qui m’est destiné alors qu’il ne me quitte pas des yeux. Et sa voix douce, pleine de douceur, me serre un peu plus la gorge alors qu’il me rappelle qu’avant tout le reste, nous sommes les membres d’une même famille. Il ajoute également que personne -et je ne peux m’empêcher de penser que je dois donc être le seul- ne doute que je suis parfaitement digne des rôles qui me sont, et me seront, attribués. Si seulement il pouvait avoir raison. Pourtant, je ne peux le croire. J’ai bien trop de doutes, trop de lacunes…

Alors que je m’afflige de mes faiblesses, de mon manque flagrant de compétences, mon Shīfu me rappelle l’importance de passer du temps avec les personnes qui me sont proches, que personne ne pourra me reprocher de me me relâcher quand je suis en leur compagnie. Selon lui, je peux également faire preuve de faiblesse en me sentant perdu, fatigué ou faible de temps en temps et que, dans ce genre de moments, je peux me tourner vers quelqu’un pour me confier, laisser une personne me soutenir. C’est extrêmement difficile pour moi d’entendre de telles paroles alors que je me sens si seul et désemparé depuis que j’ai passé ce test duquel je suis sorti avec le désespoir de mes maîtres et un rôle bien trop lourd à porter. Je me suis senti tellement démuni alors qu’on me reprochait de ne pas avoir compris que j’avais bel et bien terminé le test, et haut la main en plus. Pour moi, ce n’était pas quelque chose de prévu. Je pensais que nous allions devoir le refaire puisque nous avions fait face à un imprévu. De plus, je n’avais pas réalisé que ces bêtes étaient du plus haut rang, n’ayant en tête que la survie des quatres groupes sous mon commandement. Puis, pour ma défense, cela avait semblé si simple qu’on aurait pu croire qu’il ne s’agissait pas de la cible que nous poursuivions. Rien que d’y penser m’amène souvent à soupirer tant je me sens mortifié et honteux.

Le médecin de notre clan me fait part de sa culpabilité et du souhait que je lui pardonne de ne pas avoir su détecter ma détresse plus tôt. D’autant plus qu’il est persuadé qu’avant d’être ce que mes rôles m’obligent, je suis un fils, un frère, un ami et un neveu. L’ami de qui, exactement ? Le reste je veux bien mais… qui donc peut se dire être mon ami ? Qui m’a suivi en tant que tel jusqu’à maintenant ? Personne. A moins que lui se pense l’être puisqu’il est celui de mon père ? Si je devais nommer sa position parmi mes proches, ce n’est pas ainsi. Surtout alors qu’il m’assure que prendre du temps pour soi ne signifie pas enfreindre les règles qui nous sont imposées. Encore plus alors qu’il me nomme par mon nom de naissance. Une larme solitaire dévale ma joue après m’avoir échappée alors que je demande d’une voix étranglée par mon désarroi :



Même ceux qui se sont un jour vantés d’être mes amis n’ont jamais rien su de ce qui me tourmentait. Je ne l’ai jamais dit, jamais montré. Nous qui devons contrôler nos émotions, ne pas nous montrer intimes avec les autres et ne pas faire d’éclats, comment aurait-il pu être possible d’en parler en toute liberté ? Concernant ma famille, j’ai beaucoup trop peur qu’il me voient comme étant indigne ou trop faible pour faire ce qu’on me demande, qu’ils soient déçus. Je ne veux pas devoir affronter ce genre de pensées. On a beau me dire que ce ne sera pas le cas, je ne peux m’empêcher de le penser. C’est beaucoup trop difficile à affronter même dans mon imagination. C’est pourquoi je peine à demander de l’aide à mon père, à rendre visite à ma sœur ou même à chasser avec mes frères. L’absence de ma mère se fait toujours ressentir alors que je pense à ma famille et me bloque également.

Devrais-je me sentir soulagé d’avoir fait de mon mieux et que personne ne m’en tiendra rigueur ? Je ne saurais dire ce que me dit Yīshī Shīfu est vrai ou simplement un souhait de sa part. Après tout, si personne ne m’en tenait réellement rigueur, pourquoi n’ai-je pu garder des amis à mes côtés ? Peut-être suis-je une horrible personne en réalité. Après tout, pourquoi se séparer d’une personne avec qui il est possible de s’entendre ? Je ressens à quel point j’ai été seul durant une si longue période quand je me pose toutes ces questions auxquelles je suis tout bonnement incapable de répondre. Je n’en montre cependant rien, ne voulant pas accabler mon Shīfu plus qu’il ne semble déjà l’être par ma faute. Et, alors qu’il se lève, je le laisse poser une main sur ma tête sans bouger. Depuis la mort de ma mère, je n’ai plus jamais laissé l’occasion à qui que ce soit de faire ce petit geste. Pourquoi me le faire maintenant alors que je ne suis plus un enfant ?

Lorsqu’il a terminé, le médecin va derrière son bureau pour servir une tasse de thé qu’il me donne en revenant à mes côtés. Poliment, je le remercie et boit une petite gorgée de ce breuvage qui ressemble plus à un remède qu’un des thés que me servirait mon père. Assis de nouveau sur son assise, il avoue qu’il peut être difficile de délier la vie privée du reste. Pourtant, il ajoute que si je venais à l’autoriser, beaucoup de personnes accepteraient que je les prenne dans mes bras. Mon père, ma sœur et mes frères sont cités et je dois bien avouer que cela fait bien longtemps que je n’ai pas passé du temps à leurs côtés pour autre chose que le travail. La mention de Lan Lei-An me rappelle le jour où je l’ai pris dans mes bras dans l’espoir de le consoler mais, depuis, j’ai comme l’impression que nos relations sont plutôt tièdes, comme celles d’un maître et son élève. Pourquoi me verrait-il autrement ? Enfin, le nom de mon neveu est ajouté. Pourquoi, lui, le ferait-il ? Je ne le vois jamais, ne lui parle jamais. Je suis bien allé à sa présentation, pourtant je n’ai pas cherché à m’approcher de lui. Rien ne m’y a contraint comme cela a été le cas pour Lei-An. Alors, qu’est-ce qui change cela ?



Son expression me montre combien il est surpris. Ai-je dit quelque chose d’étrange ? Pourtant, j’ai simplement établi des faits, ce que j’ai récemment expérimenté. Et, avec tout cela, je suis en train de craindre d’oublier la seconde raison pour laquelle je souhaite cette conversation. Après tout, elle concerne Lei-An. Je ne force toutefois pas ces questions puisque le médecin me fait comprendre qu’il en a une également, m'expliquant avant tout qu’il est normal que cela ne s’est pas fait puisque je n’ai créé aucun lien avec lui. Je me demande même s’il accepterait d’en faire un avec moi, mais qu’importe. J’imagine que le temps me permettra de le savoir. Sa question, quant à elle, porte sur ce que j’ai pu dire à Lei-An. Je réfléchis un instant pour être certain de ne pas dire de bêtise.



Je ne comprends vraiment pas comment mes paroles pourraient amener à ce mur, surtout qu’il ne semblait pas du tout avoir été gêné lors du câlin ou après. Peut-être que Yīshī Shīfu saura me le dire ?

Il semblerait que ma réponse ne puisse pas vraiment expliquer la raison pour laquelle il y aurait un mur entre mon cadet et moi. Rien que le froncement de sourcils de Yīshī Shīfu est un bon indicateur. Dans ce cas, qu’est-ce que cela pourrait être ? Je ne lui ai rien dit de plus avant de m’en aller. Je n’y réfléchis que plus alors que le médecin me confirme ce que je pensais et me demande si je ne lui ai rien dit d’autre concernant le câlin. Bloqué sur la possibilité que ce soit après l’avoir fait, je ne trouve rien. Ce n’est que lorsqu’il émet la possibilité que ce soit par rapport à ce moment intime passé ensemble que je me rappelle de ce que je lui ai dit juste avant. Je réponds alors, pas très sûr que cela puisse l’avancer plus :



Il est vrai que ce mur me dérange et que je ne sais pas comment je pourrais le briser puisque j’ai déjà fait un pas vers lui. Cependant, puis-je vraiment briser ma promesse que personne n’en saurait rien pour ça ? L’expression de mon interlocuteur me fait comprendre que je n’aurais pas dû le faire. Honteux, je baisse la tête. Je suis vraiment le pire… Comment peut-on penser que je puisse devenir quelqu’un tenant l’avenir de tout un clan entre ses mains dans ces circonstances ? Il vaudrait mieux me retirer tous ces droits sur le champ !

Pourtant, quand mon Shīfu reprend la parole, me faisant relever la tête pour mieux l’écouter, c’est pour m’expliquer dans un sourire ne souffrant d’aucune moquerie que Lei-An n’a sans doute pas compris que je souhaitais le rassurer, notamment parce qu’il avait déjà confiance en moi à ce sujet. Je ne savais pas que ce garçon me voyait d’un si bon œil. Je me demande ce qui a bien pu le pousser à parler de moi d’une manière si positive alors que je n’ai rien fait de si extraordinaire. Selon moi, tous les maîtres devraient faire la même chose. Selon moi, répondre aux questions devrait être quelque chose de normal. A vrai dire, je me demande s’il ne serait pas une bonne chose que chaque cadet ayant acquis son Jindan ait un maître. Peut-être qu’un maître pourrait s’occuper d’un groupe restreint et, ainsi, pouvoir s’occuper de manière plus particulière de ces cadets selon les besoins qu’ils ont. Chaque enfant est différent et, comme c’est le cas de mon protégé, tous ne sont pas capables de réfréner leur curiosité. Leur répondre d’attendre ne fait qu’aggraver les choses quand on y pense.

Je regrette vraiment que mes paroles aient été comprises de la mauvaise manière. Je suis désolé d’être en réalité l’initiateur de ce mur qui me dérange. Je m’en veux de l’avoir sans doute blessé alors que ce n’était pas mon but. Le médecin me propose alors d’en parler avec lui pour éviter de laisser les choses s’installer de cette manière. J’ai peur… Ne vais-je pas faire pire que mieux ? Je ne suis pas doué quand il faut m’exprimer. Nous en avons la preuve avec ce qu’il s’est passé. J’étais allé le voir pour lui remonter le moral, l’encourager et le consoler. Finalement, je n’ai été qu’un coup dans son cœur.

Après un moment de silence, Yīshī Shīfu me demande si Lei-An est plus important pour moi que pourrait l’être n’importe quel cadet. Mon regard se baisse. Dois-je être honnête ? N’est-ce pas faire un pas de plus vers l’irrespect des règles alors que j’ai déjà l’impression de les avoir bafouées un millier de fois ? On a beau être en privé, selon ce qui a été dit, c’est assez compliqué pour moi encore de me faire à cette idée. Cette conversation est tellement plus difficile que je l’imaginais de prime abord… Je finis tout de même par hocher doucement la tête en essayant de cacher mon désarroi. Je précise d’une voix que je ne sais maîtriser alors que j’aurais voulu cacher mon malaise :



J’attends qu’il soit prêt à m’écouter, prenant bien note de ce qu’il peut me dire à propos de ma relation avec le cadet, avant de lui faire part de mon second sujet sur un ton bien plus assuré :



Je me doute que je n’aurais pas de réponses précises concernant l’état de santé du camarade de mon cadet. Toutefois, j’aimerais avoir des indications qui pourraient me permettre de lui en venir en aide. Si je venais à épauler Lan Lei-An, je ne voudrais pas laisser un de ses amis en difficulté pour autant. Bien qu’il soit également vrai que je ne puisse pas vraiment leur accorder tout le temps que je souhaiterais. Peut-être devrais-je les laisser entre les mains d’une personne qui puisse être plus libre que moi ? Cela me met mal à l’aise comme idée…

Je ne sais pas si je dois être soulagé que le sujet ne soit plus ma personne et mes doutes, mais bien quelqu’un d’autre. Cette personne pour qui je m’inquiète puisque je me vois en lui, bien qu’il me soit très difficile de l’admettre. Yīshī Shīfu m’accorde toute son attention et je peux lui faire part de ce que je sais, de mes réflexions et de mes inquiétudes concernant Lan Shùn Wèn. Je ne veux pas les abandonner et, maintenant que je souhaite les aider, je pense que je dois aller jusqu’au bout des choses. Il serait mal de donner le travail à un autre, surtout que, jusqu’à maintenant, il n’y a que très peu de personnes qui ont décidé de se pencher sur le problème. Les amis de mon père sont les seuls à donner une aide aux personnes qui, comme moi, ont des facilités ou d’autres soucis sur lesquels on devrait se pencher. Est-il trop difficile pour les autres d’admettre que tout le monde n’est pas pareil et que, même si on manque de monde, il est mauvais de laisser des enfants en difficulté ? N’est-ce pas préjudiciable pour le clan de laisser les choses telles qu’elles sont juste parce que cela fait des années que c’est ainsi ? Les temps changent. Nous devrions pouvoir nous adapter à ces changements sans quoi nous courrons à notre perte…

Je suis étonné d’apprendre que d’autres connaissaient la situation avant moi sans rien avoir fait. Bien que l’explication à cela me soit donnée, je ne suis pas certain de la comprendre. Est-ce si important de laisser une personne commettre une erreur qui puisse lui coûter la santé ? N’y avait-il donc aucun autre moyen de lui venir en aide ? De leur venir en aide ? Quoiqu’il en soit, il semblerait que nous soyons d’accord sur les besoins de ces jeunes gens. Maintenant, ce que j’ai besoin de savoir c’est s’ils ont le niveau et le mental à accepter de devenir des cadets Dì èr ou si du temps doit leur être encore accordé. Aussi, je pense qu’il est nécessaire pour moi d’en savoir plus sur l’état de santé de Lan Shùn Wèn dans la mesure où cela me peinerait de le pousser au-delà de ses limites si je venais à ne pas les connaître.

Je remarque le regard que me porte mon aîné et je me demande si mon père me regarderait également de cette façon alors que je lui ferais part de mes doutes et mes faiblesses. Cela me paraît tellement improbable malgré mon espoir que je tente d’abandonner cette idée. Je ne veux pas être blessé par la déception que je pourrais ressentir si cela venait à ne pas se faire.

Finalement, je n’en saurais pas plus sur le cadet à la santé fragile, bien que je puisse avoir effectivement la confirmation de son état global. Je comprends totalement que mon Shīfu soit prudent pour garder la confiance de son patient et il a tout à fait raison. Toutefois, comment peut-on en venir à une telle méfiance ? Sommes-nous donc des ennemis à ses yeux ? Pourrais-je réellement l’aider dans ces conditions alors que je sais vraisemblablement à peine m’occuper de moi-même ? Selon le médecin, il semblerait que ce soit le cas dans la mesure où une porte m’a déjà été ouverte. Ne voulait-il donc pas dire “entrouverte” ? Puisqu’il ne s’est pas confié à moi, je doute d'avoir obtenu sa confiance. Juste le bénéfice du doute. C’est certe un bon début, mais je ne pense pas le mériter. Je n’ai rien fait pour cela. Je soupire doucement et, regardant Yīshī Shīfu, je demande :



J’hésite quelques secondes avant de faire part de ma propre observation :



Je ne souhaite pas le traumatiser et je crains de tout mon cœur de le mettre dans la même situation que moi. Ce n’est pas mon but et j’espère pouvoir faire les choses au mieux. Surtout avec ce mur que j’ai le devoir de démolir bien que je ne sois toujours pas sûr d’en être capable.

Je voudrais vraiment éviter de donner du poids à quelqu'un. Surtout quand il s'agit d'une aussi jeune personne. Je sais ce que cela fait et, même si Lei-An est différent de ce que j'étais, il est hors de question que je sois la personne qui l'impose. Pourtant, le médecin qui n'a aucun doute concernant les capacités du cadet au centre de notre conversation est persuadé qu'il faille le passer au niveau supérieur. Ne serait-il donc pas mauvais qu'il se sente acculé ? Surtout qu'il est encore très jeune. Je sais que je suis celui ayant émis cette possibilité, toutefois je pense qu'au fond j'espérais qu'on me fasse comprendre qu'il soit trop tôt justement pour ces raisons qui m'effraient.

À côté de cela, j'ai grand hâte d'en savoir plus sur les capacités de Lan Xifeng qui a justement été nommé pour également suivre des cours particuliers. En quoi sont-ils complémentaires ? Comment pourrais-je les entraîner pour qu'ils puissent former un groupe solide ? Ce sont des questions qui me font réaliser que je ne compte vraiment pas les laisser entre les mains d'une autre personne. Ainsi, mon ultime question se porte sur tout autre chose tout en restant dans le sujet que nous abordons :



Avec la réponse positive que je reçois, je me lève et m'incline poliment face à mon Shīfu tout en le remerciant pour toute l'aide qu'il m'a apportée aujourd'hui. Ensuite, je lui souhaite une bonne journée en s'assurant qu'il n'a plus rien à aborder avec moi avant de me retirer.

Suite à cela, je mène mes pas en direction du pavillon du Zōngzhu. Je ne peux pas prendre de décision définitive sans son accord, surtout que cela va à l'encontre de tout ce que nous avons établi. De plus, je ne dois pas oublier de lui parler de la sécurité un peu trop laxiste du clan. C'est déterminé à aborder tous les sujets que je toque doucement à la porte qui me sépare de mon père. Durant le court instant avant qu'on ne m'autorise à entrer, je me rappelle les paroles de Yīshī Shīfu concernant ma retenue trop grande et je me demande comment je dois réagir face au chef du clan.
Je suis autorisé à entrer avant que je ne puisse avoir la moindre réponse et j'entre en étant tendu, sans savoir quoi faire alors que je sais pour quelle raison je suis là. Je n'ose pas non plus le regarder dans les yeux de crainte qu'il puisse y déceler mes doutes plus présents qu'à l'accoutumée. Dois-je aller vers lui pour lui dire combien je tiens réellement à lui ? Mais je suis le Zhǎngwò. Je ne peux pas me le permettre. Alors que nous sommes en privé ? Dans ce cas, comment le nommer ?

Finalement, je suis tant proie aux doutes que je suis incapable de prononcer le moindre mot et, malgré moi, mon attitude me fait grandement penser à celle qu'avait eu Lei-An avec moi quand il a reçu sa punition.

Tétanisé. N’est-ce pas ainsi qu’on qualifie les personnes ne sachant plus agir face à une situation donnée ? Sans doute que la peur est l’émotion la plus courante pour se mettre dans un pareil état. Mais, est-ce vraiment mon cas ? Aurais-je… peur ? De décevoir mon père, c’est certain, mais cela ne m’a jamais mis dans pareil état. Et c’est la même chose pour toutes les raisons que je pourrais trouver, qui sont toujours les mêmes quoi que je fasse. Dans ce cas, qu’y a-t-il de plus ? Le doute ? Depuis que Yīshī Shīfu m’a parlé de mon attitude beaucoup trop strictement liée aux règles du clan et de la souffrance que cela provoque chez les membres de ma famille, je ne peux m’empêcher de me remettre en question. Je ne sais plus quoi faire. Je me sens totalement démuni. Et la sensation n’est que pire alors que c’est face à mon père que je me trouve. Il est malade et qui sait combien de temps il va encore pouvoir rester à nos côtés. Pourtant, j’ai été le pire avec lui. Présent sans l’être réellement. Pas comme un fils, de ce que j’ai pu comprendre. Alors… que dois-je faire ?!

Évidemment, mon état n’échappe pas à l'œil aguerri du Zōngzhu qui, alors que je ne réponds pas à son appelle, se lève pour venir près de moi. Je ne bouge pas, mais cela signifie aussi que je garde la tête baissée sans oser le regarder. Mon attitude me fait mal, encore plus alors que je l’écoute s’inquiéter pour moi. Malgré moi, malgré toute la retenue que j’ai, des larmes percent mes barrières et roulent sur mes jours. Ma respiration devient comme… difficile. Je sens que je pleure tout en le retenant. J’ai mal, mais ce n’est pas physique. C’est mon cœur qui souffre alors que je me sens indigne du support que représentent les mains sur mon épaule. Doucement, je prends une grande inspiration pour être sûr de ne pas manquer de souffle avant de répondre d’une voix serrée et tremblante :



Je craignais que Lei-An puisse être traumatisé, troublé au point de ne plus pouvoir faire les choses de la manière dont il le voudrait. Qu’il soit tétanisé à l’idée de poursuivre sur le chemin menant à son objectif. Pourtant, quand on y regarde de plus près, le plus touché de nous deux, bien que cela puisse ne pas être par la même chose, c’est moi.

J’ai l’impression que je suis une véritable déception en me montrant dans cet état. Je me montre faible, indigne d’être Zhǎngwò, montrant mes émotions sans plus savoir les retenir et, plus que cela, je me montre totalement impoli envers le Zōngzhu. Une véritable nuisance. Je ne vois pas comment il pourrait être possible que mon père ne me le reproche pas. Je suis tout bonnement en train d’anéantir en moins d’une minute la totalité de ses espoirs alors qu’il avait tant confiance en moi. Au point de faire de moi un maître à un âge aussi jeune et de me nommer comme son bras droit. Je ne peux le regarder en face dans ces conditions, même s’il garde ses mains sur mes épaules, même s’il est si proche de moi, inquiet de ce qui pourrait être en train de m’arriver. Je ne suis même pas clair dans mes explications. Qui voudrait une personne comme moi pour lui venir en aide ou pour lui succéder ? Je ne suis pas digne de confiance…

Pourtant, alors que je pensais qu’il allait s’éloigner de moi, mon père me prend dans ses bras. Chaleureusement, comme lorsque j’étais enfant. Que dois-je faire ? Comment réagir ? Qu’est-ce que je faisais quand j’étais petit ? Tremblant d’émotions et de crainte, je lève un peu les bras pour tenir la tenue de mon père dans son dos tout en cachant mon visage inondé de larmes dans son épaule. Je suis si faible… Si inutile… Pourtant, il ne me dit rien de tout ça. Il continue de m’appeler par le nom qu’il m’a donné à ma naissance. Il m’assure que je ne suis pas tout seul. Tout cela alors que je pleure tout contre lui sans plus pouvoir me retenir. Je me sens si mal et si honteux. Si tout cela était vraiment autorisé, pourquoi n’en ai-je pas profité quand mon père était encore en bonne santé ? Pourquoi me suis-je éloigné de tout le monde ? Je ne veux pas croire que j’ai été si stupide pour mal comprendre les limites. Pourtant, on a beau me dire que je peux le faire, j’ai encore du mal à les comprendre. Après tout, mon père est un proche, mais aussi le Zōngzhu. Où se trouve la différence ? Où se trouve la limite ? Je ne peux pas l’appeler père à un moment et d’une manière plus formelle dans un autre. C’est trop difficile. Insurmontable si cela est à faire avec tout le monde !

Je me calme à peine alors qu’il m’autorise à l’appeler père comme je le faisais avant. Cela parce que nous avons été, nous sommes et nous serons toujours une famille quoi qu’il arrive. Je n’arrive pas à savoir ce que m’apportent réellement ces paroles. Je crois que j’ai mal mais, d’un autre côté, c’est si rassurant que je voudrais qu’il me le dise encore une fois. A la place, comme retombant en enfance, je pleure de plus belle en l’appelant comme par le passé :



Je reste ainsi un long, très long moment. Jusqu’à ce que mes pleurs cessent. Avant tous ces doutes, je me serais rapidement détaché de lui pour reprendre mon rôle de Zhǎngwò avec la retenue qui va avec. Maintenant, je ne m’en sens pas capable. Je ne veux pas retourner à ces moments de souffrance… C’est donc en restant accroché à mon père que je lui dis d’une voix brisée et tremblante :



Comment pourrait-on me confier quoi que ce soit ? Avec un tel comportement, je doute même qu’on puisse me confier l’apprentissage de Lei-An et ses amis puisque c’est également une grande responsabilité. Avec un manque de jugement tel que le mien, il est impossible que cela puisse m’être autorisé d’une quelconque manière.

Les paroles de mon père sont celles que j’ai espérées malgré moi toutes ces années. Tout comme le fait de me retrouver à nouveau dans ses bras protecteurs. Depuis combien de temps n’ai-je pas connu un tel réconfort ? Pourtant, je ne peux cesser de pleurer. Alors que face à Yīshī Shīfu je suis parvenu à garder un peu de contrôle et me reprendre assez rapidement pour ne pas faire d’éclat, je suis tout simplement faible face à mon père. Je ne peux pas continuer à me forcer quand il me protège de cette manière. Pourquoi ai-je grandi ? Pourquoi ne suis-je pas resté un enfant ? C’est sans doute la seule chose que je pourrais souhaiter qui me soit destinée. Avoir tant de responsabilités et de poids sur les épaules est bien trop difficile à gérer à mes yeux. Tant de personnes seraient bien plus aptes que moi pour tout cela. J’en suis intimement persuadé et cela renforce cette sensation que je suis en train de décevoir plus que de raison cet homme qui soutient un clan entier sans jamais faillir.

Lentement, mes pleurs cessent et, accroché à lui, je lui fais part de mes doutes, de cette sensation lancinante de ne pas être digne du rôle qu’il m’a donné. Rien que cette image que je lui donne doit le lui confirmer.
Pourquoi ? Comment peut-il être fier de moi ? Je n’ai rien fait pour qu’il le soit. Au contraire, j’ai toujours été si peu compétent en comparaison avec les autres. Même mes frères auraient fait mille fois mieux que moi. Je ne comprends pas. Père, dis-tu cela pour que je continue ?
“Pas obligé de tout faire” ? je n’ai pas “à être parfait” ? Ah non ? Alors, que dois-je faire ? Quelle est donc la limite de ce qui est attendu venant de moi ? Et, si je ne suis pas parfait, comment pourrais-je supporter le poids du destin du clan ? Je suis heureux qu’il m’aime comme je suis. Sincèrement. Je ne comprends seulement pas quelle est la différence qui existe entre maintenant et avant.

C’est à regret que je laisse mon père m’éloigner de lui. Toutefois, comme plus tôt, je n’ose pas vraiment le regarder en face. Je le laisse essuyer une de mes joues, fermant mon oeil au passage de sa manche pour le protéger, avant de lui demander d’une voix brisée :



Je réfléchis un instant avant de reprendre avec difficultés :



Je garde le silence avant de demander douloureusement :



Je suis vraiment qu’un incapable. Incapable de comprendre quelque chose qui paraît si simple pour tout le monde autour de moi. N’est-ce pas encore une preuve que je ne suis pas digne ? Que je sois son fils ou non, qu’il m’aime ou non, je dois tellement l’inquiéter avec une telle personnalité…

A mes yeux, mon père est l’homme le plus sage qui puisse exister. Celui sur qui tout le monde peut prendre exemple sans craindre de se tromper. J’ai l’impression de ne pas lui arriver à la cheville pour beaucoup de raisons. Je suis toujours un enfant, j’ai beaucoup de choses à apprendre, il y a tant d'expériences que je dois acquérir… Pourquoi ai-je été choisi au détriment de mes frères ? Qu’ai-je de plus qu’eux pour que le choix de cet homme que je respecte se pose sur moi ? Je n’ose pas lui poser la question de crainte que la réponse me mette encore plus de pression. Pourtant, à travers tous les doutes que je lui formule depuis que je suis à ses côtés, ne suis-je pas en train de lui en parler ?

Malgré tout, sa main ne quitte pas ma joue, il garde le contact avec moi. Un contact qui me rappelle mon enfance. Il continue à me soutenir et m’explique qu’avec les membres de ma famille j’ai le droit de les appeler de manière informelle. Du moins, tant que personne d’extérieur ne soit présent. Pourtant, n’est-ce pas manquer de retenue ? La signification de notre bandeau ne perd-il pas son sens si on se laisse aller dans certaines circonstances ?
La mention de ma mère me serre le cœur. Elle me manque terriblement. Sans doute est-ce la même chose pour mon père qui me montre son regret de ne pas avoir été présent pour nous. De ne pas avoir vu combien j’avais peur, que je me sentais totalement perdu. Était-ce pareil pour ma sœur et mes frères ? Il semblerait que non puisque je suis le seul qu’il ait mentionné. Je ne pensais cependant pas me “cacher” derrière les règles. A mes yeux, elles étaient un soutien, un moyen de rester sur le droit chemin. Il semblerait que je me sois trompé si j’en crois les paroles de mon père et celles de Yīshī Shīfu.
“On fait tous des erreurs”. Cela ne nous rend pas moins dignes. C’est un moyen d’apprendre et de devenir plus fort. Dans ce cas, pourquoi l’erreur est-elle aussi fortement punie au sein du clan ? Pourquoi le moindre écart aux règles est-il sévèrement réprimandé ? Il faudrait que je lui en parle une fois que je lui aurais fait part du cas de Lei-An et ses amis, ou que je m’en occuperais moi-même quitte à lui demander son avis par la suite. Peut-être devrais-je en faire de même concernant la sécurité du clan. Cela lui retirerait peut-être un poids puisque je viens de lui en soumettre un sans le vouloir. Est-ce une “erreur” ? Je ne veux pas lui montrer mon nouveau trouble. Je préfère amplement méditer sur ses récentes paroles.

De nouveau, je me trouve dans les bras de mon père bien-aimé. Je lui rends maladroitement son étreinte, cachant de nouveau mon visage dans son épaule. Si seulement je pouvais rester ainsi. J’en ai assez de me montrer fort. Je voudrais seulement être protégé puisque je suis loin d’être aussi fort que j’ai pu le faire croire. Sans doute l’a-t-il deviné maintenant, non ?
Comment me poser ? Comment prendre mon temps ? Avons-nous ce loisir de prendre le temps ? Je crains à tout instant qu’on vienne m’annoncer une mauvaise nouvelle et je voudrais vraiment renforcer notre sécurité à tous à défaut de pouvoir prendre soin de sa santé. Doucement, je hoche la tête et reste un instant ainsi, ne souhaitant pas quitter ses bras protecteurs tout de suite. Dès lors que je le ferais, je devrais lui parler de sujets plus sérieux. Je ne pourrais plus lui demander sa protection puisque le sujet portera sur des enfants bien plus jeunes que moi. Des enfants qui ont bien plus besoin qu’on prenne soin d’eux que moi.

C’est donc à regret que je me recule. Je lui propose alors de nous asseoir, pensant qu’il pourrait avoir besoin de se reposer un peu. Et, une fois que nous sommes installés, je lui parle du sujet qui me mène là :



J’ai encore la crainte de le mener à une situation pareille à la mienne. Je crains qu’il se sente acculé malgré les dires du médecin à ce propos. Et s’il nous cachait trop bien son véritable état ? Sa véritable pensée ? Quoi qu’il en soit, je suivrais de près ses progrès et ses difficultés puisque je ne voudrais pas qu’il soit seul à nouveau.

J’ai comme l’impression que mon père est au moins aussi hospitalier que moi quand je vois le thé servi entre nous. Est-ce que je tiendrais ça de lui ? Ou est-ce tout simplement quelque chose de normal entre membres d’une famille ? Je ne voudrais pas l’inquiéter plus que je ne l’ai déjà fait pour aujourd’hui avec ces questions. D’autant plus que j’ai quelque chose d’important à formuler, alors il vaut mieux que je garde ce genre de questionnements pour plus tard. Ou même pour quelqu’un d’autre. Ce serait bien plus bénéfique, même si passer du temps avec mon père me fait indéniablement du bien. C’est comme si mon esprit s’était un peu apaisé, surtout depuis que je sais comment le nommer et dans quelles circonstances. Dire que je vais devoir avoir une conversation de ce genre avec Lei-An également… Je n’ose imaginer ce qu’il pourrait penser de moi alors que, d’après Yīshī Shīfu, cet enfant a une vision positive de ma personne. Je ne mérite pas les éloges qu’il semble avoir à mon égard…

Maintenant que le sujet est lancé et mes propositions faites, je me permets de boire une gorgée de thé. Lorsque j’ouvre les yeux, c’est pour regarder mon père qui prend à son tour la parole.
Alors il était au courant pour les capacités de Lei-An… Alors pourquoi le laisser ainsi ? Oui, il est vrai que le laisser ainsi, lui laisser la possibilité d’évoluer, sans lui donner la chance d’être encadré aurait été un mauvais choix. Je ne le sais que trop bien.
Effectivement, il a raison. J’ai réfléchi à la question et je ne peux lui répondre que d’une seule manière :



Et je me sentirais on ne peut plus mal de les laisser avec quelqu’un d’autre, surtout que personne ne semble être capable de les canaliser. Pas que je pense avoir de meilleures capacités sur la question, mais je ne saurais pas sans avoir essayé. Toutefois, ces raisons pourraient-elles vraiment être suffisantes ? Le hochement de tête de mon père me fait comprendre que c’est le cas pour lui.
Alors que je bois une nouvelle gorgée de mon thé, il m’avoue même être rassuré que je sois celui qui m’occupe d’eux. Pourquoi est-ce si rassurant ? Qu’ai-je donc fait qui puisse lui faire croire que j’en serais capable ? Est-ce parce que Lei-An a confiance en moi ?
Concernant ce dernier, un examen va être prévu pour la semaine prochaine. Ce sera à moi de savoir s’il est prêt pour cela ou non selon la discussion que j’aurais avec lui. Ce n’est que trop de confiance qu’on m’accorde, encore une fois. Et bien que je note cette possibilité qu’il aura de choisir d’aller en chasse ou non, je préfère demander après avoir bu une gorgée de thé pour m’aider à garder mon calme :



Je ferme les yeux, ne voulant pas trouver la déception ou l’inquiétude sur le visage de mon père. Je voudrais vraiment savoir ce qui le motive à me donner autant de responsabilités alors que je doute d'en avoir les capacités. La preuve en est que Lan Shùn Wèn est prêt à recommencer ses fautes bien qu’il sache qu’il ne le devrait pas et les raisons. Comment pourrais-je canaliser une telle personne qui se méfie de tout le monde ? Quant à Lan Xifeng… Je ne le connais tout simplement pas.