Je me demande ce que mon père peut bien trouver à ce clan. Certes, ils sont riches, leurs disciples sont plutôt bons dans ce qu’ils font et… ils sont riches. C’est d’ailleurs ce qui a grandement attiré mon père, si j’en crois les rumeurs qui passaient entre les domestiques de la maison. Quand j’en ai entendu parler, cela ne m’a aucunement étonnée dans la mesure où ce n’est un secret pour personne que cet homme est très cupide. Je l’ai déjà entendu parler de prendre la place de l’empereur comme une bonne blague à sa femme. Dire qu’il pourrait tous nous faire tuer si ces simples mots sortaient de la maison. Entre cela, mon envie pressante de ne plus être vue que comme une simple princesse à marier et mon amour pour la cultivation, il n’est pas étonnant que je me sois tournée vers cela. Dommage toutefois que je sois toujours prise au piège à cause des conditions qui m’ont été imposées. Personnellement, mon choix se serait plutôt porté vers Yunmeng Jiang ou Gusu Lan. Enfin… Ce n’est pas comme si la gente masculine avait ne serait-ce que l’envie d’écouter les envies et les pensées des femmes. De plus, je suis encore très jeune. Une enfant, me diraient certains. Et il m’est impossible de réfuter ce fait. Je ne peux que faire avec pour le moment, bien que je n’ai pas abandonné l’idée de m’en aller très loin de Chang’an.

Il y a quelques jours, un maître de Lanling Jin est venu me trouver après mes cours pour me faire part d’un message de mon père. Celui-ci me demande de rentrer à la maison pour récupérer un futur cadet. Evidemment, je n’ai le droit à aucune explication. A ses yeux, je ne dois être rien de mieux qu’une domestique obéissant au moindre de ses ordres avec avantages. Je trouve cela tellement vulgaire… Toutefois, je ne suis pas en position de refuser. Je préviens donc mes supérieurs et, habillée de ma tenue de clan, un bindi rouge sur le front, je suis partie pour Chang’an. Le chemin a été relativement rapide et tranquille. Tant et si bien que me voilà désormais dans les rues de la ville. L’animation est grande. Les marchands hèlent les passants, les enfants courent et des groupes sont parfois formés, discutant de ce qui se passe à l’extérieur ou des dernières rumeurs. Certaines, de ce que je peux entendre en passant, sont assez effrayantes puisqu’elles mentionnent des destructions de villages et des morts par centaines. Je me demande ce que fait la garde impériale censée pourtant protéger les honnêtes gens. A moins que cela ne soit du ressort des cultivateurs parce que cela a été fait par un monstre ou un yao ? Dans ce cas, quelles sont les raisons pour lesquelles personne ne semble s’en inquiéter ? Est-ce partout pareil ? Qu’est-ce que je ne sais pas qui m’empêche de comprendre pleinement la situation ?

Malgré que je sois plongée dans mes pensées, mes pas m’emmène jusqu’à la maison de la famille Wàng. Désormais, je connais ce chemin par cœur, alors je ne suis pas vraiment étonnée de mon arrivée. J’aurais seulement préféré que cela ne fut pas aussi rapide. Je soupire doucement avant d’ouvrir la porte et d'entrer avec grâce. Je n’ai pas encore réussi à me débarrasser de ces années d’apprentissage pour devenir la parfaite petite princesse qui puisse séduire son père pour l’amener dans son lit plus souvent. Cela m’exaspère quand mon titre est utilisé. Heureusement, je ne suis pas assez puérile pour m’en offusquer.
J’avance en étant accueillie par quelques domestiques qui vont prévenir mon père de mon arrivée. Il semblerait qu’il ne soit pas bien loin, accompagné de celui à qui je vais devoir servir de guide. Homme que je m’amuse discrètement à détailler en m’avançant à leur rencontre. Il a l’air plus âgé que moi. Sa peau brune me fait penser au sable ou aux rues que je viens de traverser. Quoiqu’elle est bien plus jolie tout de même, me semble-t-il. Mais, quand il me fait face, je ne peux m’empêcher de ressentir de la surprise en découvrant ses yeux. Deux couleurs différentes cachées par des mèches de cheveux plus claires qu’à la norme. Je me demande s’il s’agit d’un étranger. Question que je me garde bien de prononcer et que je range dans un coin de mon esprit pour saluer respectueusement, à la manière des cultivateurs, mon père et son invité. En me relevant, il me semble voir passer de l’exaspération sur le visage du maître des lieux avant qu’il n’offre un de ses plus beaux sourires à son interlocuteur. C’est moi ou est-il en train de lui lécher les bottes ? Qu’importe, je me dois de me présenter à présent.



“Cette enfant vous conduira au Zhongzhu du clan de Lanling Jin. Il est au courant de votre arrivée. Ah ! Et ne vous en faites pas pour votre sécurité. Un garde vous accompagnera.”

Ah… Je l’avais oublié, celui-là. Il a dû rester à l’entrée pour m’attendre. Je n’ai pas fait attention à cet homme qui m’a amenée ici tel un chaperon puisqu’il est très peu bavard et que je n’étais pas ravie du peu de confiance qu’on me porte. On me dira que c’est pour assurer ma sécurité, mais qui voudrait s’en prendre à une personne comme moi, à part dans l’espoir de nuire à mon père ? Si je regarde les choses sous cet angle, je doute qu’il lève le petit doigt pour m’aider, à moins qu’il y ait un contrat de mariage sur ma tête et que cela ne l’arrange pas de se passer de l’argent ou du pouvoir qu’il perdrait en me perdant. Si cupide. Et si stupide. Je voudrais déjà m’en aller au lieu de l’entendre faire des compliments et donner des conseils forts inutiles à cette personne à peine plus âgée que moi si j’en crois mon analyse.

Que mon père ne me salue pas ne m’étonne même plus. Après tout, à ses yeux, je ne suis rien de plus qu’un objet comme cette table ou ces chaises sur lesquelles les deux hommes étaient jusque là installés. Heureusement, son hôte semble avoir bien plus de politesse que ce géniteur cupide puisque, dès qu’il en a l’occasion, il se lève pour se présenter à moi dans une salutation respectueuse. J’apprécie grandement le geste qui, pourtant, est on ne peut plus normal, bien que je n’en montre rien. A la place, je lui réponds simplement :



Puisque nous allons désormais être des frères et sœurs de cultivation, autant commencer à parler correctement dès maintenant. De plus, je suis agréablement surprise qu’il ne semble pas être comme la plupart des cadets que je croise à Lanling Jin. A ne pas juger selon la naissance ou les noms qui ont été donnés. Surtout que je ne suis pas celle les ayant choisis. Sachant cela, je pense pouvoir m’entendre avec lui, si tant est qu’il ne change pas radicalement d’attitude une fois que nous nous éloignerons de la maison. Après tout, nous sommes encore devant mon père, bien que je le considère plus comme un inconnu plutôt qu’un membre de ma famille. D’ailleurs, je soupire doucement alors que ce dernier s’adresse une nouvelle fois à Heng Shixiong sans même m’adresser un regard. Un objet ou une domestique ? Ne peut-il donc pas choisir entre seulement un de ces deux rôles ? Question stupide dans la mesure où je deviendrais soudainement sa fille le jour il me trouvera un bon partie qui lui conviendra. En tant que femme, je n’ai malheureusement pas mon mot à dire sur la question, mon devoir étant seulement de suivre le mouvement et les ordres des hommes me prenant en charge. Je trouve cela tellement humiliant.

Une fois que nous ayons salué mon père une dernière fois, nous nous dirigeons vers l’entrée de la demeure. Chún de Feilóng nous y attend avec la même expression fermée avec laquelle je l’ai laissé plus tôt. Au moins, cela lui évite de me questionner sur le traitement que je viens de subir. Après ce long voyage, je n’ai pas eu le droit à un simple accueil, on ne m’a pas demandé si j’avais fait bon voyage ou même servi une petite tasse de thé. Je suis certaine que si j’avais été enlevée, maltraitée mais que j’étais tout de même parvenue à arriver à bon port, cela aurait été la même chose. Quelle stupidité. Et, en plus de m’épargner de la peine inutile, cela intrigue également Dewei Heng qui l’observe on ne peut plus attentivement. L’intrigue-t-il ? Peut-être se sont-ils déjà croisés par le passé ? Sans doute ne le saurais-je jamais.

Puisque mon Shixiong est prêt à me suivre et qu’il est vraisemblablement mentalement dans la peau d’un fier cultivateur, je souris finement avant de lui intimer de me suivre. Autant ne pas perdre de temps dans ce lieu hostile plus que de raison. D’ailleurs, si je pouvais ne plus jamais y remettre les pieds, je ne m’en porterais que mieux. Je laisse donc la distance s’agrandir entre mon lieu de naissance et le petit groupe que nous formons avant de regarder mon frère de cultivation. Je lui demande sans insistance au cas où il ne voudrait pas parler de ce sujet :



A un pas derrière nous, notre garde du corps nous suit aussi silencieusement qu’à l’allée. Peut-être sera-t-il de nouveau possible de l’oublier comme cela fut le cas à l’allée. Bien sûr, il m’a aidée et je ne peux que complimenter sa diligence. Toutefois, son amabilité semble être à l’image de celle de l’hospitalité que j’ai reçue sous mon propre toit. Enfin, ce qui est censé l’être à l’origine.

La réponse que j’obtiens à la question posée à mon Shixiong est surprenante. A vrai dire, je ne sais pas vraiment à quoi je pouvais bien m’attendre. Toutefois, c’était certainement bien loin de la possibilité que nous soyons attaqués par des cadavres ambulants pendant notre voyage à cause de la malchance estimée de mon aîné. Bien que je n’en montre rien, j’en veux d’autant plus à mon père de ne pas avoir pris en compte ce genre de risques. A moins qu’il ne l’ait fait et, dans ce cas, je ne vois que deux cas de figures. Soit il a estimé que mon garde du corps serait largement suffisant pour nous protéger, ce qui est franchement stupide, soit il a la volonté de se débarrasser de l’épine que je suis dans son pied sans se salir les mains. Ou bien, et ce serait le comble de la bêtise, il n’a pas pensé à ce que nous puissions nous faire attaquer par ce genre de danger ou par des monstres et il m’a fait appeler de la sorte en étant persuadé que je serais parfaitement en sécurité. Dans un cas, comme dans l’autre, la situation reste la même et je ne suis pas sûre de ce que je vais bien pouvoir dire à cette personne que j’escorte. Je ne suis pas encore autorisée à participer à la moindre chasse nocturne. J’ai beau me renseigner pendant mes heures de liberté, les informations auxquelles j’ai accès sont largement limitées. Et même si j’avais les connaissances, je n’ai pas les capacités optimales de me défendre dans la mesure où mon Jindan n’est pas encore créé, bien que cela soit sur la bonne voie. La situation peut encore empirer, mais elle est déjà assez mauvaise dans son estimation.

Cela n’a pas échappé à mon Shixiong qui tente de me faire dire combien notre sécurité n’est pas optimale. Et il semble que Chún de jiàng jūn n’ait pas prévu de m’aider à en parler. J’émets donc un discret soupire avant d’avouer :



Mentir ne servirait à rien d’autre que nous mettre un peu plus en danger. Je le sais bien. Toutefois, dire cela moi-même me déplaît puisque cela me fait remarquer combien ma vie est loin d’être précieuse pour tout le monde à part moi. Qu’importe ! Je me protégerai, je survivrai, et je leur montrerai à tous que je n’ai pas besoin d’eux pour évoluer tel que je le souhaite. J’en suis déterminée et je vais commencer en rentrant saine et sauve à Lanling Jin.

Derrière moi, Chún de jiàng jūn hausse un sourcil, comme pour se demander de quoi nous pouvons bien parler. Il est vrai que tout son travail se trouve bien loin de la cultivation et il ne semble pas très calé sur le sujet. J’en viens même à me demander s’il sait ce qu’il fait là ou ce qu’est Lanling Jin, ses activités et autres. Toutefois, il ne pose pas de question, comme si le sujet ne l’intéressait pas du tout ou qu’il était tellement sûr de ses capacités qu’il n’a en réalité aucune conscience du danger que nous pourrions rencontrer. Bienheureux sont les ignorants. Je me demande s’il fera partie de ceux qui mourront jeunes à cause de leurs méconnaissances. Quoi que, de ce que je sais, il est déjà assez vieux pour être père maintenant. Mais dans quoi ai-je été embarquée à mon insue ?

Plus j’y pense, plus la situation dans laquelle nous sommes est mauvaise. Mais, avec un peu de chance, nous pourrions trouver un groupe de cultivateurs qui accepterait de nous venir en aide pour nous protéger le temps d’arriver à Lanling Jin. Après tout, nous n’en sommes pas si loin. Tomber sur des cadets en chasse, voire un maître accompagnant des plus jeunes, ce n’est pas chose impossible. Toutefois, mon Shixiong ne semble pas disposé à voir la situation positivement, appuyant sur le pire qui puisse nous arriver. La mort dans d’atroces souffrances. N’y a-t-il donc rien d’autre qu’il ait retenu de toute mon exposition ? C’est assez frustrant. Toutefois, je ne dis rien, le laissant faire. M’énerver, angoisser ou me quereller ne fera qu’empirer les variables déjà trop nombreuses pour que nous puissions avoir une vision d’ensemble plus claire. Je continue donc de marcher en prêtant une oreille attentive à la conversation qui semble s’ouvrir un minimum entre les deux hommes.

J’ai pensé cela, mais il serait plus juste de constater que mon shixiong cherche surtout à faire réagir notre garde du corps qui n’a absolument rien dit depuis que nous avons commencé notre marche. Et, encore maintenant, ses réactions sont moindres. Il ne réagit pas vraiment au sobriquet qui a été utilisé pour le désigner. En réalité, c’est un silence pesant qui s’abat sur nous et je ne saurais dire s’il réfléchit ou s’il nous ignore. Personnellement, je préfère ne pas m’en mêler. Je ne suis pas celle qui a été sollicitée et je suis plus que certaine que ce général est plus que capable de se défendre tout seul s’il le souhaite. Nous sommes plus jeunes que lui et cela ne l’a pas dérangé quand il fallait remettre des enfants perturbateurs à leur place. Je me demande ce que mon nouveau frère de cultivation attendait exactement quand il l’a appelé pour lui poser une telle question.

Absolument rien si j’en juge sa manière de réagir face au manque de réponse qu’il a subi. Il n’a pas l’air le moins du monde touché, préférant se tourner vers moi dans l’espoir de parler de notre clan. Je soupire discrètement et réfléchis à ce qui peut être dit de positif concernant cet endroit. Je ne porte pas cette communauté dans mon cœur et je le ressens d’autant plus alors que je cherche quoi dire. Finalement, je tente une présentation plus juste que flatteuse dans l’espoir de donner une vue d’ensemble plutôt qu’un ressenti personnel :



Je m’arrête là et je réfléchis un instant. Dois-je laisser mes propos aller plus loin ? Médire sur mon clan pourrait se retourner contre moi et, d’un autre côté, je ne ferais que dire une part de vérité qui serait bientôt dévoilée aux yeux de mon Shixiong. Finalement, je préfère parler brièvement des méthodes d’apprentissage et de la création du Jindan afin qu’il puisse se préparer à la sévérité moindre des maîtres et à la laxité du respect des règles sans pour autant désigner personne. Je me rappelle notamment d’une journée d’étude pendant laquelle le professeur s’était absenté pour une raison que tout le monde ignorait. Au lieu de punir les perturbations grandement voyantes qu’il y avait eu, le maître a pensé bon de reprendre la leçon comme si rien ne s’était passé. La question qui m’a ensuite été posée à la fin du cours était la suivante : Pourquoi ne m’étais-je pas mêlée à mes camarades au lieu d’étudier dans le bruit ? Quelle stupidité ! Je ne suis pas devenue cultivatrice pour m’amuser, mais pour aider mon prochain. En plus de me défaire de cette image de princesse qui me colle à la peau, mais ce n’est qu’un détail. Je déteste ce monde où on se croit tout permis à partir du moment où on est un peu riche, au point de choisir les victimes qu’on veut choisir selon la gloire apportée. Quelle sera la vision de la chose pour ce garçon qui compte nous rejoindre ?

J’ai assez rapidement une réponse à la question que je suis la seule à connaître. Mais pourquoi vouloir intégrer un clan de cultivateur s’il ne semble avoir aucune once d’intérêt pour la matière. Je ne suis pas sûre que vouloir se protéger soit suffisant pour suivre cette voie. Il s’agit de bien plus d’une pratique comme la broderie, par exemple. A mes yeux, cela demande de l’investissement et beaucoup de travail pour parvenir à des résultats satisfaisants. C’est ce que j’ai compris au contact de l’ami de mes jeunes années. Je me demande ce qu’il a bien pu devenir…

L’attitude de mon Shixiong laisse à penser qu’il ne ressent aucune anxiété, comme si absolument rien ne pouvait le toucher, que ce soit les mots ou une situation critique. Ne le connaissant pas, je ne peux pas faire la moindre supposition concernant cette facette de lui, mais j’imagine que lui poser des questions serait bien trop intrusif pour être poli. Je me contiens donc et écoute seulement l’espoir qu’il a de pouvoir trouver un intérêt autre que celui qui aurait dû le pousser à faire ce voyage vers Lanling Jin. Je préfère ne faire aucun commentaire sur la question, me contentant de hocher la tête. Tant qu’il y trouve son compte, je n’ai pas de leçon à lui faire. Ce n’est ni mon rôle, ni mon envie. Toutefois, il ne perd pas mon attention, surtout qu’il continue à me parler. Cette fois, sa question porte sur notre garde du corps et le meilleur homme de mon père qui se fait appeler par un sobriquet qui ne semble pas l’émouvoir le moins du monde. Toutefois, son devoir semble être assez important et un sujet à sa portée pour répondre à ma place :

“Mon devoir est celui que me donne mon maître”

Simple, concis, ne comportant aucun détail superflus. Tout comme lors du voyage que j’ai fait jusqu’à cette maison aussi accueillante qu’une prison faite d’or et d’argent. Je me permets donc d’apporter une petite réponse puisqu’il me semble que la question s’adressait à moi et non au principal intéressé :



Bien que sa préoccupation soit sans doute bien moindre me concernant. Je doute qu’il se soit inquiété pour ma santé au vu de l’accueil glacial dont j’ai été la victime. Je préfère toutefois passer outre et ne pas m’en plaindre pour conclure :



Je doute que le sujet soit des plus intéressant pour mon frère de cultivation. Je cesse donc de parler de cela, le laissant me faire savoir quel genre de conversation il souhaite. Je découvre alors qu’il porte un intérêt concernant ma propre situation. Je me demande ce que je devrais ressentir face à la pique qu’il vient de faire à toutes les princesses. Personnellement, je ne m’en sens pas vraiment offusquée, bien que je sache que le monde de la politique n’est fait que de batailles incessantes faites sur les apparences et les sous-entendus. Toutefois, je ne pense pas pouvoir être flattée non plus. Autant répondre simplement :



Mon regard se porte sur lui et, curieuse, je lui demande :



Je doute qu’il veuille être enchaîné. Quand je le vois se mouvoir et l’entends parler, je peux voir en lui un esprit libre qui ne voudrait souffrir d’aucune chaîne. Qui en voudrait tant qu’il n’est pas complètement brisé. Encore une fois, mon esprit se tourne vers mon ami. Lui était brisé au point de me demander de le laisser mourir. Je suis triste en pensant qu’il a peut-être réussi à trouver ce qu’il voulait et que je n’ai pas eu l’occasion de l’aider à trouver un avenir meilleur.

Si je m’attendais… Qui aurait pu penser que cette personne si libre au point d’insulter une personne importante de manière aussi ouverte se montrerait aussi à cheval sur la politesse ? Au moins, je peux le remercier de m’avoir laissé lui répondre avant de s’en prendre au principal intéressé, sans m’inclure dans leur dispute. Quoique nous pourrions nous demander si ce n’est pas le plus âgé qui se fait gronder comme un enfant de la manière dont il se tait. Cela me paraît étrange qu’il donne l’impression d’accéder à la demande, l’ordre, de se taire pour le reste du voyage qui risque d’être extrêmement long, bien que sa réaction démontre un certain mécontentement. Je ne comprends vraiment pas cet homme et je ne peux pas prétendre que cela soit mieux avec celui qui ne cesse de le provoquer. Au fond, peu importe. J’espère seulement que je ne deviendrais pas un outil pour attiser leurs querelles. Je ne souhaite aucunement m’y impliquer, c’est pourquoi je fais semblant de ne pas les entendre bien qu’il soit évident que c’est le cas puisque je me trouve à leurs côtés.

Faisant donc comme si rien ne s’était passé, je demande à mon interlocuteur si, à ma place, il préférerait être une princesse semblant libre alors qu’elle n’est qu’une prisonnière dans une cage dorée ou si, comme moi, il chercherait la liberté dont il semble actuellement jouir. Cela devrait lui faire comprendre ce qui m’a motivé à quitter cette famille malgré la rudesse de la vie sans le confort que confère l’argent. Enfin, je l’espère puisqu’il se met à rire à gorge déployée comme si j’avais raconté une des histoires les plus drôles qu’on lui ait jamais contée. Etait-ce si stupide ou étrange pour qu’il ait une telle réaction ? Peut-être bien puisque, pour lui, la réponse est aussi évidente. Je hoche doucement la tête, regardant de nouveau devant moi, ignorant les curieux se tournant lors de notre passage. Qui donc sur terre voudrait être enchaîné ? A part une personne ayant tout abandonné, jusqu’à l’idée de vivre, comme cet ami rencontré il y a quelques années, évidemment. Je me demande ce qu’il devient. Cela me peine de le savoir dans cet état sans que je puisse être en mesure de lui venir en aide d’une quelconque manière. Un autre pourra-t-il lui permettre d’ouvrir son cœur avant qu’il ne soit trop tard ? Je le souhaite de tout cœur.

Je doute savoir si “cela” sera amusant ou non, mais il semblerait que seul le temps puisse nous donner une réponse claire à ce propos. Puis, le sujet qui est donné par la suite concerne la cultivation. Plus précisément, il se pose des questions sur la formation du Jindan et la possibilité que je puisse avoir le mien. Je réfléchis consciencieusement à la question quand il se penche vers moi, amenant mon regard à se poser sur son visage. Il me demande alors si notre garde du corps boude au vu de la réaction qu’il a eue plus tôt. Je doute fortement qu’il s’en soucie réellement. Quel étrange Shixiong…



Contrairement à lui, je n’ai pas baissé le ton de ma voix pour éviter de me mettre le meilleur élément de mon père à dos. Ou pire, mon père. Je ne suis pas sortie de cette maison pour que mon comportement m’y ramène, encore moins aussi rapidement. Je préfère donc répondre à la question de plus tôt :



Il ne me semble pas avoir oublié d’information importante. Toutefois, je ne saurais être trop prudente sur la question et conseille à mon frère de cultivation :



Je n’ai alors plus qu’à espérer qu’il prenne mon conseil à sérieux. Toutefois, je ne peux que douter qu’il le fasse dans la mesure où il semble être le genre de personne à faire ce qu’il veut quand il le veut sans jamais suivre les ordres de personne.

L’attitude de Dewei Heng Shixiong démontre que ma réponse n’est pas pour lui plaire. Je comprends qu’il ait voulu se moquer de notre garde du corps à ses dépends en m’utilisant comme interlocutrice. Toutefois, il serait très déplacé de ma part de faire pareille chose. Je ne peux donc que tenter d’apaiser la situation devenue tendue en répondant à sa question concernant la formation du Jindan et si je l’avais moi-même. Encore une fois, rien ne montre un véritable intérêt et je me demande si je n’ai pas fait une erreur qui pourrait m’être reprochée. Rien que son haussement d’épaules et son soupir de plus tôt sont assez parlants. Ce n’est pas son court rire, qui me paraît dénué de joie, contrairement à celui qui avait éclaté avant toute cette histoire avec Chun de jiàng jūn, qui sera suffisant pour changer cette impression.

Il parvient toutefois à me surprendre grandement. Selon lui, il sera capable de former son Jindan en seulement trois mois alors qu’il faut en moyenne une à deux années pour parvenir à une telle prouesse, et seulement si nous avons du talent en la matière. J’ai déjà vu des Shixiong s’en aller parce qu’ils n’y étaient pas parvenus même après trois années entières. Alors comment cela pourrait-il être possible en seulement trois mois ? Je dois avouer que je me sens grandement intriguée par une telle affirmation, ce qui me rend d’autant plus attentive.

Suite à cela, il ne manque pas de comparer les cultivateurs et les nobles qui, à ses yeux, ne sont pas si différents à cause des formalités que nous suivons. En cela, je ne peux pas lui donner tort, mais notre protection est-elle si peu importante à ses yeux pour que les précautions que nous prenons lui paraissent si inutiles que cela ? D’un autre côté, je suis incapable de lui donner tort. La preuve en est que depuis le début de ce voyage je me fais le plaisir de méditer dans l’espoir de former mon Jindan un tout petit peu plus rapidement. N’est-ce pas contradictoire avec le conseil que je viens de lui donner ? Il y a des fois où nous ferions mieux de nous taire. Dans mon cas, c’était un de ces moments, semblerait-il.

Un sourire étire mes lèvres alors que je le regarde gesticuler tout en m’expliquant combien les formalités sont inutiles et encombrantes. Cela tout en prédisant que dans deux ans il abandonnerait déjà la cultivation alors que j’aurais… Quoi ? Comment cela je vais quitter LanlingJin ? Est-ce vraiment possible que ce rêve se réalise ? Et aussi tôt que cela ? Je ne peux pas demander mieux. Seulement, comment peut-il savoir une telle chose ? Plus que n’importe quoi d’autre, j’ai envie d’avoir une réponse. N’est-ce pas étrange pour une personne comme moi de me laisser porter par une telle envie ? Est-ce un signe que je puisse être comme mon père ? Non. Contrairement à lui, au moins je sais me tenir et ne pas chercher à avoir ce que je veux par tous les moyens.

Gardant cette surprise sur mon visage bien malgré moi, tout en regardant mon interlocuteur un peu imprévisible, je réponds à ses interrogations et prédictions :



Quoi qu’il en soit, quel que soit l’endroit où nous pourrions nous trouver, il existera toujours des règles à respecter. J’en suis bien consciente. C’est pourquoi je ne me sentirais pas en cage tant que je m'éloignerais totalement de l’influence de mon père et que je serais dans un endroit où les règles me seront supportables à respecter, raisonnables. Je ne veux pas être étouffée comme une poupée ne pouvant bouger sans l’accord de son propriétaire.



Ooops !! Il semblerait que ma curiosité ait pris mon contrôle durant un moment. Je rougis légèrement mais tente de ne rien en montrer de plus. Finalement, je veux savoir et je ne me détournerai pas de ce fait. Pas maintenant que je viens de le montrer d’une manière aussi ouverte.

Il semblerait que mon Shixiong n’attendait qu’une chose : que je réponde à ses étranges prédictions. Bien que je ne le connaisse pas depuis longtemps, je peux facilement le deviner alors que je regarde son expression. On dirait mon petit frère lorsque mon père lui promet monts et merveilles à tout bout de champ. Pauvre enfant, je crains qu’il ne devienne pas un bon garçon en grandissant tant il est gâté. Toutefois, désormais, ce n’est plus mon problème. Étant désormais une cultivatrice, je n’ai plus à me mêler aux affaires de cette famille. Et si j’en crois ce qui vient de m’être dit, ce sera encore mieux dans une année. Avant de l’espérer de toutes mes forces, me raccrochant à cette possibilité, je préfère tout de même vérifier l’information, ce qui plaît à mon aîné qui me sourit ouvertement.

Il est vrai que je ne veux pas rester à LanlingJin. Est-ce si évident ? Aussi, je me suis effectivement renseigné sur cette possibilité d’étudier dans un autre clan une fois que cela serait possible. Je me demande comment il peut être au courant d’une telle information alors qu’il est novice dans le domaine de la cultivation. Aussi, toutes ses hypothèses sont incroyablement justes. Plus qu’une prédiction, j’irais jusqu’à dire qu’il a un incroyable sens de l’observation et de déduction. J’en suis absolument bluffée.
Je souris à son conseil. GusuLan est effectivement l’un des clans que j’ai pensé rejoindre, bien que ce ne soit pas pour la beauté. Si on va dans ce sens, j’aurais dû rester dans la maison de mon père puisque j’étais toujours entouré de beaux objets. Mais j’apprécie leur discipline et j’ose espérer être traitée en égale là-bas, ce qui risque de ne pas être le cas ailleurs au vu de la manière dont les hommes traitent les femmes en général.

Je lui souris finement, écoutant la suite de ses explications. J’ai comme l’impression que protéger sa vie n’est pas la vraie raison qui pourrait le pousser à rejoindre un clan. Cela n’entre pas dans son caractère quand je le vois ainsi et cela semble contraire à ce qu’il me dit. Une impression que je n’arrive pas à m’expliquer. Dans tous les cas, il ne pourra rien apprendre de très concret pour se protéger en deux ans seulement si j’en crois ma maigre expérience.
Concernant son Jindan, il ne manque pas de culot. Toute personne étant douée pour cultiver ne peut le savoir qu’en apprenant à le faire. Qu’est-ce qui peut lui donner une aussi grande confiance en lui à ce sujet ? Peut-être a-t-il commencé auparavant ? Non. Impossible sinon il ne m’aurait pas demandé la manière dont on crée un Jindan. Donc, la vraie raison soit être parce qu’il s’agit du quart d’une année, tout simplement. Le reste est bien trop farfelue pour que je puisse y croire.



Il s’agit de l’âge auquel j’ai rencontré ce jeune cultivateur. Celui qui m’a donné envie de cultiver malgré son état. Cet ami que je doute revoir un jour mais à qui je souhaite le meilleur de tout mon coeur. Toutefois, je ne souhaite pas l’expliquer plus que cela. Heureusement, mon Shixiong souhaite savoir s’il peut me prédire autre chose. Je lui souris et réfléchis un instant avant de lui demander :



Dans un sens, j’aimerais également savoir si je suis vouée à me marier pour sauver ma vie de ma famille, puisqu’en étudiant ailleurs je n’y resterai finalement qu’une seule année au maximum. Et même si cela venait à se décider, comment mon père pourrait-il l’accepter si ce n’est pas dans le clan LanlingJin ? J’imagine que j’aurais un peu plus de réponses en écoutant la prédiction que j’allais avoir, s’il accepte de la faire.