Pour une fois, ce n’est pas pour un de mes croyants que je suis descendu du monde céleste. J’aurais préféré rester dans ma région, la belle Jiangsu. Toutefois, je ne pouvais pas laisser des enfants en difficulté. En tant que Dieu des Jeunes, cela aurait été grandement indigne de ma part. Surtout à Gusu, la région protégée par un clan avec lequel nous faisions régulièrement des chasses nocturnes. Je ne m’en rappelle pas très bien, mais leur uniforme blanc n’a jamais changé même après autant de temps. C’est nostalgique. Cela l’aurait été bien moins si des cadets de ce clan étaient morts lors d’une chasse.

Je ne sais pas de qui il s’agissait, mais jamais je ne pourrais oublier cette capacité à manipuler les Yao. Il les contrôlait avec tant d’adresse qu’on aurait pu croire que c’était lui le monstre tant ils semblaient très naturels. Enfin, les Yao restant des êtres vivants mais transformés, cela ne devrait pas être si étonnant. Difficilement repérable, en vérité. Que serait-il arrivé si mon collègue et moi n’étions pas venus à leur secours ? Sans doute qu’il ne resterait rien d’eux et rien que d’y penser me fait froid dans le dos. Heureusement que nous sommes arrivés à temps.

Mon masque de démon sur le visage, je n’ai pas attendu de trouver un plan avec mon collègue pour aller sauver ces gosses. Bon… Peut-être y avait-il un adulte avec eux, mais peu importe. Je n’ai pas fait attention à ce genre de détails, préférant protéger leurs vies. Liúxīng a fusé pour perforer la peau des Yao, laissant le champ libre à l’autre Dieu pour les mettre à terre ou, mieux, leur donner la mort. Quoi que j’en ai également tué un ou deux sous mes coups. Mais qu’importe. Le plus important est qu’ils vont tous bien. Personnellement, j’ai disparu avant qu’on ne puisse me poser la moindre question. A moins que je ne les ai juste pas entendues, qui sait. Mes pas m’ont alors amené dans un des rares temples à mon effigie de la région. Mon masque retiré, je laisse mon visage à la vue de tous.

Je me sens un peu las. Je peux entendre énormément de requêtes de mes croyants et je dois avouer que ça me brise le cœur de constater que je ne peux absolument rien faire pour eux. En fait, je me dis que, peut-être, je pourrais leur accorder un rêve pour compenser, bien que cela soit très maigre. Je ne peux malheureusement pas ramener les parents à la vie, ni donner plus d’argent pour que la vie soit plus simple. Tout ce que je peux faire pour eux, c’est leur donner un peu de consolation et quelques mots d’encouragement. Et encore… À le faire trop souvent, je finirais tout simplement par briser les limites qui me sont imposées.

Adossé à l’entrée du plan, je regarde pensivement le paysage. Je comprends pourquoi Gusu Lan a choisi cet endroit. Comment était-ce à Jiangsu ? Je regrette ce genre de détails dans ces moments-là. Dommage que les souvenirs ne reviennent pas si facilement. Enfin, je ferais avec, profitant de ceux que je peux observer, comme maintenant.

Alors que je suis perdu dans mes pensées, le silence des lieux me permet d’entendre des bruits de pas. Sans bouger, je tente de repérer le nombre de personnes, la direction qu’ils sont en train de prendre ou même s’ils ont de mauvaises intentions. Mon arme étant à portée de main, malgré ma position flegmatique, je suis prêt à riposter à tout instant.

Mon esprit est totalement absorbé par le paysage qui se profile autour de moi. Je ne suis pas du tout concentré par tout ce qu’il se passe autour. Si je me le permets, c’est parce que je me trouve dans un temple et que j’ai vérifié les alentours avant de me poser. Toutefois, ce n’est pas la seule chose à laquelle je pense. Mon ami coincé là-haut m’a confié une demande, une mission que j’ai acceptée sans aucune contrepartie. Je me demande si son fils faisait partie des enfants que j’ai contribué à sauver. J’en doute un peu, pourtant les cadets du clan GusuLan ne me sont pas totalement inconnus pour certains. Des amis de cet enfant ? Je ne pourrais le dire qu’en me montrant un peu plus attentif, je suppose. En attendant, je regrette encore moins d’avoir aidé mon collègue à aider ces petits. J’ai encore moins de regrets. Peut-être devrais-je remonter aux cieux pour demander ce qu’il en est à mon ami. Lui saura me dire puisqu’il a constamment un œil sur son fils. Mais cela ne serait-il pas comme lui avouer que je suis assez inattentif ? Je soupire doucement en me raisonnant : à côté de la protection particulière que j’offre à cet enfant, j’ai également des centaines de milliers d’autres petits êtres qui demandent ma protection. Je ne peux malheureusement pas être partout à la fois.

Des bruits de pas. Je vérifie la présence de Liúxīng à mes côtés et attend avec une tension cachée de comprendre les intentions de ce visiteur. Un croyant ? Un attaquant ? Une personne ayant perdu son chemin ? Rien de tout cela. Je le comprends alors que j’entends des salutations. Je sais que le temple était vide jusqu’à mon arrivée, alors je suis forcément ce “Daozhang” à qui le jeune homme parle. Mieux vaut que je sois vu de cette manière plutôt qu’un officier céleste. Cela m’offre plus de liberté et me donne moins de raison d’être puni d’une manière ou d’une autre par le maître à qui j’ai prêté allégeance.

Doucement, je me tourne afin de faire face au jeune homme qui me remercie pour l’aide que je leur ai apportée. Je comprends alors qu’il s’agit d’un des enfants que j’ai sauvé plus tôt. Celui qui se tenait plus en arrière que les autres. Pourquoi se trouve-t-il seul ? M’a-t-il poursuivi dans le seul but de me remercier ? Il a l’air très fatigué, sans doute à cause de la bataille qui a fait rage et, si j’en crois sa manche déchirée tâchée de sang, il est blessé. Pourquoi diable prendre le risque d’une infection juste pour me trouver ? Des remerciements ne représentent pas une urgence suffisante pour se mettre en danger. Cela me rend curieux mais je n’en montre rien, préférant le saluer respectueusement avant de répondre calmement :



Cela dit, je ne peux pas le laisser ainsi, qu’il compte s’en aller ou non. Rangeant mon arme pour ne pas la laisser aux mains de n’importe qui, je fouille dans les poches de mes manches pour en sortir une pochette d’herbes médicinales et quelques bandes. Tout en les laissant paraître à la vue de mon interlocuteur, je lui propose :



Surtout dans son état. Surtout sans les membres de son groupe. Toutefois, je n’approcherais pas sans son accord. Je ne voudrais pas créer une dispute, surtout avec un enfant qui ne semblait pas simple à approcher. Non. Qu’il soit simple approcher ou non, je souhaite m’entendre avec tous les enfants en réalité. Je souhaite pouvoir leur venir en aide de toutes mes forces. Si je venais à ne pas pouvoir le faire, alors que signifierait mon ascension au royaume céleste ?

J’ai comme l’impression que cette entrevue ne sera pas de tout repos. Ce jeune homme a beau m’avoir suivi, ou poursuivi si on regarde les événements différemment, jusqu’ici, il reste extrêmement méfiant à mon égard. Je me demande s’il lui est arrivé quelque chose par le passé que je n’aurais su arrêter par manque de prière ou parce que je serais arrivé trop tard. Cela ne coûtera rien de vérifier lorsque je remonterai dans le royaume des cieux. En attendant, je suis soucieux de sa santé, lui proposant d’écouter ses questions, la raison pour laquelle il est ici avec moi, tout en soignant sa blessure. A première vue, elle n’a pas l’air sérieuse. Toutefois, cela n’enlève rien aux souffrances qu’elle doit lui procurer. Heureusement, je reste toujours un minimum équipé au cas où un enfant serait blessé comme c’est le cas maintenant.

Je parviens à un accord avec lui. La condition étant celle de lui montrer les herbes que je compte utiliser, je n’ai aucune crainte à avoir. Grâce à mon précieux ami qui aurait sans doute été bien plus utile que moi, j’ai toujours toutes sortes d’herbes médicinales et je suis capable de les utiliser de la bonne façon. Je m’approche donc de lui. Je n’ai pas besoin de lui proposer de s’asseoir et je prends place à ses côtés. Je place mes herbes bien en vue devant lui afin qu’il puisse m’indiquer celles qui lui dont les plus familières alors que je dégage doucement sa plaie et la nettoie. Chacun de mes gestes est précautionneux et assez lent pour qu’il puisse les voir en détail, vérifier que je ne fais rien qui puisse lui nuire. Tout en faisant cela, je réponds à sa première question, un léger sourire aux lèvres :



Ce n’est pas la première fois que je parle de moi-même à la troisième personne. A vrai dire, cela m’a toujours un peu amusé dans la mesure où je suis le principal intéressé sans que personne ne le sache. D’un autre côté, je commence à avoir l’habitude de ce genre de choses puisque je ne peux pas dévoiler que je suis réellement ce Dieu. Qui viendrait à croire que les Dieux descendent des Cieux pour venir en aide aux humains ? Pourquoi les humains devraient souffrir si les Dieux peuvent les aider ? Tout simplement parce que nous avons beau nous être élevés, nous ne sommes pas pour autant tous puissants. D’autant plus que nous sommes tous dirigés, surveillés… Au point que nous ne pouvons plus protéger notre propre bonheur. N’est-ce pas triste ?



Au vu de sa méfiance, j’ai comme l’impression qu’il est plutôt du genre pragmatique. Mais sait-on jamais. Tout en l’écoutant, je prends des herbes qu’il m’a désignées et entreprends de les disposer précautionneusement autour de sa blessure que je bande ensuite avec un très grand soin. Par chance, sa plaie n’était pas trop profonde. Je devrais toutefois lui faire part de quelques recommandations, comme celle d’aller trouver son médecin de clan quand il rentrerait. Je ne voudrais pas qu’il attrape une infection par la suite. D’autant plus qu’il semble un peu fatigué. Devrais-je lui préparer une concoction contre la douleur, voire la fièvre ?

Très précautionneusement, je soigne la blessure du jeune homme en utilisant exclusivement les herbes qu’il accepte. Quitte à ne pas avoir sa confiance, je ne voudrais pas le laisser seul dans cet état sans lui prodiguer un minimum de soin. L’idée même de lui faire un remède contre la fièvre et la douleur devient de plus en plus un besoin qu’il pourrait avoir. Après tout, j’ai remarqué son frisson. M’en laisserait-il le temps ? Je n’ai rien à perdre à lui proposer lorsque j’en aurais terminé avec son bras. C’est le moins que je puisse faire pour son bien.
Tout en faisant cela, je réponds à ses interrogations puisque c’est pour cela qu’il est ici. J’aurais préféré pouvoir parler de ce temple comme étant le mien de manière explicite. Malheureusement, cela ne m’est pas permis. Nous devons nous cacher aux humains, ne pas nous dévoiler totalement. Je ne voudrais pas être puni comme mon ami pour avoir voulu aider ceux dans le besoin. D’ailleurs, j’ai comme l’impression que le maître des cieux est assez tatillon depuis un moment. Cela ne me plaît pas.

A la question que je lui pose, le cadet de GusuLan me répond ne pas avoir foi en un Dieu. Toutefois, sa raison me fait pincer les lèvres. Un Dieu qui n’aurait pas répondu aux prières. Puisque nous obtenons des mérites et de la puissance en répondant aux prières d’une manière ou d’une autre de nos adeptes, il est rare que des requêtes restent sans réponse. En général, soit la prière était destinée au mauvais Dieu et l’information s’est perdue d’une manière ou d’une autre, soit la requête était impossible à exaucer. Je me demande de quelle type étaient ces prières sans réponse… Cela me fait penser à mon ami, fermant légèrement mon visage. C’est si triste qu’il ne puisse ni faire son devoir, ni veiller sur son fils comme il aimerait le faire. Si seulement je pouvais faire plus pour lui…



Telle est ma réponse dans un sourire plus décontracté à son observation. A quoi bon mentir ? Cela ne serait que le rendre plus méfiant et ce ne sont pas des informations qui font de moi un officier céleste aux yeux d’autrui. J’écoute donc la question allant avec ce fait et je réfléchis un instant avant de répondre :



Je me demande ce qui l’amène à être aussi directe. Son état ou sa méfiance ?
Dans les deux cas, j’ai terminé de m’occuper de son bras. Je retire donc ma veste blanche pour la mettre sur ses épaules. Puis, je lui propose :



Je pense également lui proposer de l’accompagner jusqu’aux membres de son groupe. Je ne serais pas rassuré tant qu’il sera seul. J’espère seulement qu’il n’aura pas trop l’impression que j’en fais trop alors que nous ne nous connaissons pas. D’ailleurs…



Après tout, tout ce que je sais de lui c’est qu’il vient du clan GusuLan et qu’il n’a plus foi en un Dieu depuis qu’il a vu ses prières inexaucées. C’est fort peu pour établir une relation de confiance quand on y pense. Aussi, il est très méfiant et semble être le genre de personne à aller droit au but.

J’apprécie l’écoute du plus jeune alors que je le soigne. Au moins, sa méfiance ne le pousse pas à me rejeter totalement, bien qu’il n’ait aucune réelle raison de le faire dans la mesure où je réponds à sa question. Toutefois, je remarque son incompréhension alors que je lui prête ma veste dans la crainte qu’il prenne froid. Finalement, contrairement à mes paroles et mes soins, il refuse mon aide plus que cela, me rendant ma veste que je récupère en douceur. Je ne le forcerais pas plus si telle est sa décision. Je ne peux pas forcer les autres à accepter l’aide que je leur offre, après tout, même si cela me crée un petit pincement au cœur. Ce jeune garçon a beau ne pas être facile à approcher, il reste poli et je pense qu’avec un peu de patience il pourrait être tout à fait possible de s’entendre avec lui. Il me le prouve en conversant avec moi. Dommage que je ne puisse pas être en mesure de me tenir bien longtemps à ses côtés afin de pouvoir accomplir mon devoir de protection.

Je suis soulagé que son groupe ne soit pas bien loin. Il semblerait que je ne me sois pas rendu compte que j’étais si proche d’eux. Toutefois, cela reste une très bonne chose et c’est du soulagement que je ressens en l’apprenant, m’amenant à me détendre. Je sens même mes épaules se baisser légèrement. Je déteste qu’un enfant puisse être en danger d’une quelconque manière et je regrette de ne pas pouvoir avoir des yeux partout, une alarme m’indiquant le malheur de chacun pour apporter mon aide de mon mieux. Pourquoi cela ne pourrait-il pas être possible alors qu’on est considéré comme des Divinités ? Pourquoi devons-nous craindre des punitions comme celle de mon ami en voulant faire au mieux ? Non… Cela ne sert à rien de m'apitoyer sur ce genre de choses, surtout maintenant.

Je salue d’un mouvement de tête, un léger sourire amicale aux lèvres, alors que je découvre enfin le nom de ce cadet de GusuLan. Lan Shùn Wèn, un nom amusant quand on le voit me questionner de la sorte. D’ailleurs, il ne se prive pas de me poser une autre question personnelle qui va me poser un gros problème. Cela fait bien longtemps que mon clan et ceux qui m’ont appris sont morts. Quoi que je dise, il ne pourra pas vérifier. Éviter la question ne fera que le rendre méfiant. Donner des détails pourrait l’amener à me voir comme un habile menteur, quelle que soit la manière. Toutefois, je peux lui donner la vérité sans en dire plus. Du moins, il est possible d’essayer. Quel que soit mon choix, de toute façon, je prends le risque de perdre le semblant de confiance que je pourrais gagner de sa part. Bien que cela m’attristerait, je ne le forcerai pas à faire autrement s’il n’en a pas l’envie.



Il ne s’agit que de la vérité, bien que je cache le fait que ce moment dure depuis plusieurs centaines d’années maintenant. Ce clan a disparu alors que je ne veillais pas dessus, certains de mes aînés m’ayant mis en garde que cela pourrait amener à un désastre. Je ne sais pas quel genre de désastre cela pourrait être et je n’ai pas eu la volonté de braver l’interdit. J’ai préféré voyager durant ce temps, bien que je regrette maintenant de ne pas avoir veillé de loin à l’évolution de mon ancienne maison. Maintenant, il ne reste même plus de ruines qui auraient pu m’aider à me rappeler du passé. Il me faut donc avancer, regarder vers le futur et veiller sur celui de ceux qui ont des difficultés dans leur vie.
Je me demande pourquoi ce garçon est curieux par rapport à ceux qui furent mes Shīfu. Est-ce pour vérifier mes origines et la véracité de mes dires ? Je le saurais peut-être à sa réaction vis-à-vis de ma réponse.