Une princesse. Voilà tout ce que je suis aux yeux des membres de cette maison. Cela me vaut un certain respect de la part des domestiques. Toutefois, pour mon père je ne suis qu’une fille à vendre au plus offrant quand je serai en âge et, pour ma mère, un moyen de trouver une meilleure place aux côtés du premier. Elle est d’ailleurs extrêmement sévère concernant mon éducation, au point que mes jambes en souffrent presque tous les jours. Cela me déplaît, mais je m’habitue petit à petit à la douleur. Au point que, maintenant, je peux me promener malgré ça. Heureusement que je peux sortir. J’étouffe tellement dans cette maison. Il s’agit seulement d’une cage faite d’or et d’argent. Au point que plus rien n’a d’intérêt dans ce mini-palais qui se trouve être à l’image de mon père : grotesque. J’aimerais tant pouvoir voler de mes propres ailes, choisir quel sera mon avenir. Est-ce trop demandé ? Seulement parce que je suis une fille ? Pourquoi ne pas faire la même chose pour les garçons dans ce cas ? Quelle est la différence ? Nous sommes pareils, si ce n’est que les femmes peuvent donner la vie. Je soupire doucement, détachant mon regard du ciel grisâtre.

Doucement, je continue mon chemin, mes pas faisant crisser la neige. Cela ne m’amuse plus depuis bien longtemps. Surtout que le moindre amusement de ma part m’amènerait que plus de foudres de la part de ma mère qui voudrait que je sois parfaite. Une princesse sans histoire avec toutes les manières requises au sein du palais impérial. Quelle stupide idée que de m’apprendre cela…
En passant, j’entends des domestiques parler entre elles. Il semblerait que ma présence ait été soit ignorée, soit passée complètement inaperçue. Cela me permet d’entendre qu’un garçon ramené par mon père et utilisé pour assouvir ses désirs a été enfermé pour avoir refusé d’obéir. Qu’est-ce que cela ? Ce cuistre est-il donc tombé aussi bas ? Pour une broutille il enferme les personnes qui le servent, maintenant ?

Grâce à la négligence des domestiques, je sais où se trouve l’endroit où cette personne, pas beaucoup plus âgée que moi si j’en crois leurs dires, a été enfermée. Toutefois, puis-je vraiment me permettre d’aller le trouver ? A cette heure-ci, personne ne s’attend à me voir à un endroit ou un autre. De même que personne ne surveille mon pavillon. Je suis donc assez tranquille. Je préférerais cependant ne pas m’apporter d’ennuis en bafouant certaines règles.
Pensive, je me rends compte que rien ne m’interdit de sortir de mon pavillon. Mes parents ne m’ont jamais interdit de me promener ou même d’aller là où a été enfermé ce garçon. Donc, je n’enfreins en réalité aucune règle. Au pire, qu’est-ce que je risque ? De nouveaux coups sur les jambes ? Broutilles. Cela guérira vite, comme d’habitude. Des sermons ? Je les écouterais et verrais ensuite. Quoi d’autre ? Peu importe. De toute façon, mes pas me mènent déjà vers cet endroit.

Silencieuse, je passe la vigilance des quelques gardes qui passent par là, faisant attention à ce qu’ils tournent le dos quand je me fraie un chemin. L’endroit est sombre, lugubre. J’ai un peu peur, mais je préfère être là parce que j’en ai envie que là-haut par obligation. Je cherche donc cette personne qui n’est pas difficile à trouver. Ses magnifiques cheveux oranges sont facilement repérables. Toutefois, c’est également le cas de l’odeur de régurgitation. Discrètement, je vais chercher un tissu que je mouille pour le rendre humide et un verre d’eau avant de revenir vers lui. Je l’approche doucement alors qu’il lève une main vers le plafond. Un peu curieuse et peu désireuse qu’il n’ait une réaction violente en me voyant proche dès le départ, je lui demande :



Je me demande si ma question est stupide. Il est enchaîné et son état me fait vraiment mal. Très lentement, je m’approche assez prêt pour lui tendre le verre d’eau.



Je me demande un instant si j’ai l’air d’une enfant normale à ses yeux. J’ai tant été réprimandée pour des mots trop familiers, des manières peu appropriées pour une princesse, et bien d’autres choses, que je ne peux m’empêcher d’agir comme je l’ai appris. Me trouve-t-il étrange à cause de ça ?

Je ne peux pas savoir s’il me trouve étrange ou non. Ce garçon, toutefois, l’est un peu. Il est extrêmement différent de toutes les personnes que j’ai rencontrées jusqu’ici. Ses yeux ne semblent pas me voir alors qu’il regarde dans ma direction. De même que tout dans sa posture me fait penser qu’il ne veut plus rien, qu’il n’attend rien. Cela m’attriste énormément. Suis-je en mesure de lui venir en aide ? Je ne suis, malgré le souhait de ma mère, qu’une petite fille de neuf ans. Mes moyens sont on ne peut plus limités et lui apporter un peu de réconfort me semble être tout ce qu’il m’est possible de lui apporter. Cela pourrait-il être suffisant à ses yeux ? Je l’espère en lui proposant de boire pour soulager sa soif et adoucir sa gorge après avoir régurgité. Je sais que cela n’est pas agréable.

Je ne comprends pas la raison pour laquelle il ne porte aucun regard au gobelet que je lui tends. Il n’a également aucun intérêt à l’eau que je lui propose. Au lieu de ça, il regarde le plafond et me parle de m’en aller. Je suis surprise, sur le coup. Pourquoi me dire de telles choses ? S’inquiète-t-il pour moi ? Il semblerait que ce soit le cas puisqu’il me parle de la possibilité que je puisse être punie si on venait à me trouver dans cet endroit. En regardant le plafond pour essayer de trouver ce qu’il y a de si plaisant à l’observer de la sorte, je tente de me rappeler une nouvelle fois si on m’a donné une quelconque interdiction de venir en ces lieux. Pourtant, je n’en trouve aucun, encore une fois. Mes yeux se posent sur lui et, en lui offrant un doux sourire discret qui adoucit mes traits, je m’approche de lui. Lentement, je plonge deux doigts dans l’eau fraîche et les passe sur ses lèvres :



La faiblesse de sa voix est on ne peut plus évidente. Au point que je ne suis pas parvenue à comprendre s’il est simplement inquiet en me donnant un conseil, s’il est désespéré qu’on puisse s’en prendre à lui si on venait à me trouver là, ou s’il voulait se montrer aussi persuasif que mes parents en colère. Son manque d’expression m’a également laissée dans le doute.

Je continue d’humidifier doucement ses lèvres et pose le gobelet un peu plus loin entre nous deux. Je ne voudrais pas que nous renversions l’eau par maladresse. Puis, je prends le tissu humide pour l’approcher de son visage. Mes gestes sont lents afin qu’il ne soit pas trop pris par surprise. Mon but est seulement de lui apporter du réconfort en le rafraîchissant un peu et en enlevant la saleté, la sueur… tout ce qui pourrait le mettre mal à l’aise. Après tout, il semble vraiment aller mal. Tout en faisant cela, je me présente en douceur :



J’aimerais également connaître la raison pour laquelle il est gardé ici. Toutefois, il est sans doute préférable d’attendre qu’il me réponde avant d’ajouter quoi que ce soit de plus. Cela me peinerait de le mettre dans l’embarras alors que je souhaite seulement le mettre à l’aise. Il n’a pas l’air d’être une personne capable de faire du mal à qui que ce soit. Alors… serait-il dans les cachots à cause d’une bêtise qu’il aurait faite ? A moins que mon père ait seulement été en colère contre lui pour une raison stupide. Je n’apprécie pas cet homme qui fait tout ce qu’il veut.